Physique et perception du Son
Alain Boudet
Dr en Sciences Physiques
Résumé: Qu'est-ce que le son? Est-ce un phénomène physique? Non, c'est un phénomène de perception par le cerveau provoqué par une source physique. Dans cet article, nous découvrons cet enchaînement de phénomènes: nature vibratoire du son, comment il est émis, comment il se propage; par quel mécanisme il est capté, entendu et perçu par le cerveau.
Contenu de l'article:
Qu'est-ce que le son? Nous pouvons aborder cette question par deux attitudes. Ou bien, nous "observons" et expérimentons le phénomène du son dans ses manifestations familières. Ou bien, nous tentons de rassembler les souvenirs de nos lectures. Dans ce cas certains répondront peut-être: "Le son est une onde élastique transmise par l'air". Ne trouvez-vous pas qu'on répète une leçon apprise à l'école ou dans les livres, sans rapport avec notre vécu? Il me semble bien plus intéressant de ressentir le phénomène. Le son est tout d'abord une sensation. Le son se forme quand cette onde produit la sensation du son dans notre cerveau. Tant qu'il s'agit de la vibration physique, il n'y a pas de son. Nous allons examiner comment se forme cette sensation.
Lorsque nous percevons un son, nous nous rendons compte que nous le recevons par nos oreilles. Souvent, nous sommes capables de localiser et d'identifier la source du son. Ainsi, la perception sonore fait-elle intervenir une source de son, c'est-à-dire quelque chose qui produit le son, puis son acheminement jusqu'à l'oreille. Enfin c'est la fonctionnement du cerveau qui nous permet de le percevoir et d'en prendre conscience. Reprenons ces phénomènes point par point afin de les examiner en profondeur.
Tambour chamanique
avec pictogrammes S. Cavé
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Qu'entendez-vous?
Nous percevons les voix des personnes qui nous entourent, le bruit du vent ou de la cascade, un cri, le choc d'un objet, le chant des oiseaux, un piano, un tambour, les bruits de l'activité humaine tels que les moteurs. Nous entendons la musique produite par les instruments de musique, par la radio et les CD et diffusée dans des hauts-parleurs, etc.
Le questionnement que je pose dans cet article est: Pourquoi et comment ces sons sont-ils engendrés et émis? Qu'est-ce qui fait qu'un instrument est sonore?
La réponse la plus directe peut nous être fournie par l'attention portée à notre propre voix. Tentons d'émettre un son soutenu, une note chantée par exemple. Si nous sommes attentifs, nous sentons des parties du corps vibrer. Cela peut être dans la poitrine, dans le ventre, dans la tête, dans la gorge. Ou ailleurs. La voix produit des vibrations qui se répercutent dans le corps (voir article Résonances corporelles) parce que la voix humaine est elle-même une vibration engendrée par les cordes vocales. Celles-ci vibrent sous l'effet de l'intention mentale. Elles sont mises en action ainsi que le souffle, par notre volonté. Mais attention: les cordes vocales ne sont pas des cordes, ce sont des bourrelets musculaires situés dans le larynx.
Qu'en est-il des sons extérieurs à nous? Il faut soit affiner notre sensibilité, soit nous mettre dans des conditions un peu excessives pour se rendre compte que tous les sons sont des vibrations. Ainsi, plaçons-nous à proximité d'un haut-parleur qui diffuse une musique très forte, par exemple lors d'un concert rock de plein air. Nous sentons immédiatement notre ventre vibrer sous l'effet du son.
Dans un haut-parleur, une membrane est fixée sur une bobine magnétique (un enroulement de fils électriques en hélice sur un cylindre). Cette bobine est mobile et peut coulisser dans les échancrures d'un aimant. Lorsqu'elle est traversée par un courant, par exemple celui qui vient d'un lecteur de CD ou d'un amplificateur, elle produit un champ magnétique qui interfère avec celui de l'aimant et l'oblige à se déplacer. Elle bouge dans l'aimant au rythme du courant électrique, entrainant la membrane. C'est la membrane qui produit finalement le son.
Dans un haut-parleur, objet issu d'une technologie avancée, c'est une membrane souple qui produit le son. Nous la voyons vibrer elle aussi.
Dans tous les cas, le son a été produit par un objet qui vibre. Ces objets sont naturels (les feuilles, la cascade), fabriqués (la peau d'un tambour, la corde d'une guitare, un tube de métal frappé), ou les cordes vocales d'un humain. Cet objet a été mis en vibration, en oscillation, par une sollicitation mécanique: la percussion, le frottement, l'effleurement, le souffle.
On peut s'amuser à produire des sons avec des objets de toute sorte, par exemple des bouteilles plus ou moins pleines. La plupart des objets sont susceptibles de vibrer, brièvement ou plus longuement, lorsqu'ils sont stimulés ou frappés d'une façon adéquate. Si la fréquence de la vibration se situe dans le domaine audible, alors elle produit un son ou un bruit.
Figure 1. La vibration rapide d'une lame de scie fixée à une extrémité produit un son
(d'après Eurin et Guimiot, Cours de physique, Hachette, 1958).
Expérience: Voici une expérience avec une lame de scie que je fais vibrer en la coinçant dans un étau (fig. 1). Je la tire sur le côté et je la lâche. Boiiinininnngggg... Puis je change l'endroit de fixation. Au fur et à mesure que je descends la lame dans l'étau afin que la partie vibrante raccourcisse, je perçois des sons d'abord graves, puis de plus en plus aigus (voir article Sensations sonores: Hauteur), et enfin plus rien car les sons sont au-dessus de mon seuil perceptible (domaine des ultra-sons). De même, si je monte la lame de telle sorte que la partie flexible de la lame soit longue, je n'entends plus rien, même si je la vois vibrer. C'est le domaine des infrasons, des sons inaudibles parce que leur fréquence est située en-dessous du seuil d'audibilité (voir article Sensations sonores: Volume).
Dans le cas d'un instrument de musique tel qu'une trompette, quelle est la partie vibrante? C'est la colonne d'air contenue à l'intérieur de l'instrument. Elle est mise en vibration par le souffle et les lèvres du trompettiste. Il souffle comme s'il prononçait "ppp". En même temps, la vibration de l'air est communiquée au corps de l'instrument qui vibre dans son ensemble.
Dans une clarinette, le souffle met en vibration une fine languette de bois (en roseau), l'anche. Mais ce son est à peine audible et il prend de l'ampleur parce que tout le corps de l'instrument est mis en vibration. L'anche vibrante transmet sa vibration au corps et à la colonne d'air. Pour le violon, c'est l'archet qui frotte sur la corde et la met en vibration. La corde est couplée à la caisse de résonance en bois qui se met à vibrer aussi dans son ensemble. Même chose pour la guitare avec la différence que la corde est mise en vibration parce qu'on la pince.
Quel que soit l'instrument, à vent ou à cordes, c'est l'ensemble du corps instrumental qui vibre sous l'effet de la sollicitation. Aussi, les
caractéristiques sonores d'un instrument dépendent à la fois de la matière dans laquelle il est réalisé (bronze, cuivre, bois, corne...), et de sa forme (caisse de résonance d'un violon, tube de la clarinette et de la trompette, épaisseur du bois ou du métal) (voir aussi Le son créateur de formes)
Comment le son produit par la corde du violon peut-il parvenir au tympan de notre oreille et à notre peau et devenir perceptible?
Figure 2. (d'après Eurin et Guimiot, Cours de physique, Hachette, 1958).
Expérience: Pour étudier ce phénomène, des physiciens ont installé une sonnerie dans une cloche en verre dans laquelle on fait progressivement le vide avec une pompe (fig. 2). Au fur et à mesure que l'air de la cloche se raréfie, le son perçu à l'extérieur s'atténue, puis s'éteint.
C'est donc que l'air participe à la transmission du son de la sonnerie vers le tympan. L'air est le support physique de la transmission du son.
Comment cela se passe-t-il pour une instrument de musique? Lorsqu'un trompettiste souffle dans son instrument, l'air est mis en vibration par ses lèvres dans l'embouchure d'une trompette. Ensuite, l'air transmet sa vibration dans l'environnement jusqu'aux objets et surfaces qu'il touche. C'est ainsi que le tympan de l'oreille et la peau reçoivent la vibration de la trompette. Mais il ne s'agit pas encore d'un son, mais du souffle vibrant de l'air. Il faudra l'intervention du cerveau pour que cela devienne un son.
Le souffle d'air est quelquefois perceptible lorsqu'on passe à côté de grosses baffles de sonorisation extérieure de concerts.
Le son ne se transmet pas seulement à travers l'air, mais aussi à travers les autres gaz.
Un autre phénomène familier est que le son est atténué par la distance. Plus on est loin de la source, moins on l'entend.
Faites l'expérience suivante: vous vous délassez dans le bain et vous entendez le ruissellement de l'eau du robinet qui coule dans le bain. Plongez la tête sous l'eau (si vous lisez l'écran de votre ordinateur, je vous conseille de le poser avant). Entendez-vous encore le bruit de cascade? Plus fort? Ou moins fort? L'eau conduit le son bien mieux que l'air.
Il en ressort que le son a besoin d'une substance matérielle pour se propager, que ce soit une substance éparpillée comme les gaz ou une substance plus dense comme l'eau. Cela peut également être une substance solide dense comme le métal ou le bois, comme le montre l'expérience suivante:
Observation: Vous avez un réveil avec des aiguilles, qui fait "tic-tac". Vous le posez sur un meuble creux en bois. Le son est amplifié, ce qui montre que le son s'est propagé à travers le bois du meuble. Il est familier de constater, lorsque vous entendez les bruits de la pièce voisine, que les bruits des chaises qu'on déplace sont bien plus perceptibles que les voix des personnes qui y discutent. En effet les bruits de chaise ont été transmis par les poutres ou le sol de la maison tandis que les voix sont véhiculées par l'air. Quand Lucky Luke veut savoir si une troupe de chevaux arrive au loin, il colle son oreille sur le sol. Si c'est un train, il la colle sur le rail. Il les entend de bien plus loin. Ceci s'explique par la valeur de la vitesse de propagation du son dans la matière.
Observation: Il est possible d'évaluer le temps mis par le son à se déplacer dans l'air en observant un orage. La détonation de la foudre produit simultanément un coup de tonnerre et un éclair. Or nous voyons l'éclair avant d'entendre le son, ce qui prouve que la lumière va beaucoup plus vite. Tellement vite qu'on peut considérer que l'éclair nous arrive pratiquement instantanément depuis l'endroit où il s'est produit. Le son voyage plus lentement et arrive avec quelques secondes de retard. En comptant les secondes, on peut calculer la distance à laquelle éclate l'orage.
On a pu mesurer cette vitesse dès 1738, en utilisant un canon. Elle est de l'ordre de 330 mètres par seconde dans l'air, soit un kilomètre en 3 secondes. Dans l'exemple de la foudre, on divise le nombre de secondes par 3 pour obtenir le nombre de kilomètres. Dans l'eau, la vitesse du son est 4,5 fois plus grande: 1500 m/s Elle est encore plus élevée dans les solides (5200 m/s dans l'acier, 3000 à 6000 m/s dans le verre). En gros, plus la matière est dense, plus rapide est la vibration sonore.
Les différences de vitesse du son selon le milieu de transmission sont responsables de variations de sa hauteur (pour comprendre ce qu'est la hauteur, voir l'article correspondant). Une cloche plongée dans l'eau devient plus grave. Cela produit des phénomènes amusants. Si l'on parle dans un récipient où l'on a mis de l'hélium, on a l'impression d'avoir une petite voix aigüe.
Une vibration mécanique de la matière et de l'air qui met en branle le tympan ou le micro ne constitue pas en elle-même un son. Car c'est dans le cerveau que naît et se forme le son. Le son n'existe pas en-dehors de notre cerveau, de nous-même.
L'oreille recueille les vibrations de l'air, les transforme en impulsion électrique au moyen des cellules nerveuses, impulsion qui est perçue et interprétée en son par le cerveau (fig. 3). Le son est donc essentiellement une perception. Si l'attention se dirige vers cette perception, la perception arrive à la conscience. Un son est un phénomène psychique, lié à la conscience des êtres vivants.
Figure 3. La vibration sonore émise par une source ne devient un son que lorsqu'elle est reçue par l'oreille et traitée par le cerveau.
Entre l'arrivée des signaux vibratoires aux oreilles et la sensation de son dans le cerveau, a lieu le phénomène de traitement des signaux par le système nerveux. Cela signifie que la vibration physique de l'air ne parvient pas de façon brute au cerveau. Elle est transformée.
Une constatation simple est que la gamme des vibrations est tronquée. Nous n'entendons pas les sons trop bas ou trop hauts, même si leurs vibrations parviennent à la peau ou à l'oreille. Notre système nerveux ne peut recueillir et transformer en phénomène sonore qu'une fenêtre limitée dans les fréquences, environ de 20 à 20 000 Hertz (voir définition du Hertz dans l'article Sensations sonores: hauteur), avec des variantes en fonction des individus (voir article Sensations sonores: volume).
Cependant, le traitement des signaux vibratoires met en action des mécanismes complexes: physiologiques, psychiques, émotionnels, cognitifs (liés à notre apprentissage et nos expériences antérieures). L'étude de ces phénomènes a donné lieu à la science de la psychoacoustique. Les connaissances accumulées par cette science ont des applications aussi bien pour le diagnostic et les dysfonctionnements de l'ouïe que pour la conception des salles de concert, les techniques de reproduction des sons, et les systèmes de compression numérique pour l'enregistrement et le stockage.
L'ouïe traite les signaux sonores pour en extraire les informations nécessaires à notre perception de l'environnement (J.C. Risset). Dans un environnement bruyant, nous sommes capables d'extraire de façon automatique les sons qui ont un sens pour nous, comme les paroles de quelqu'un qui nous parle. Nous sommes également capables de reconnaître des formes sonores, tels que des instruments de musique. Dans une musique, l'ouïe a la faculté de séparer et distinguer des sons superposés. D'autres fois au contraire, elle fusionne en un son complexe des sons distincts.
Certains phénomènes psychiques sont à l'origine de dysfonctionnements de l'ouïe. Il existe une surdité psychologique. On a souvent dit que l'oreille n'avait pas de paupières. Toutefois le cerveau peut en faire office de façon inconsciente. Il a la possibilité de bloquer la perception de certains sons qui nous font mal psychologiquement. Il se peut que nous entendions mal certaines fréquences associées aux voix des parents si ceux-ci ont été source de traumatismes, s'il l'un frappait l'autre par exemple. C'était trop douloureux à entendre. De même des traumatismes porteurs de dévalorisation, de négation, de violence, qu'il nous est impossible d'accepter sont source de baisse de l'acuité auditive ou au contraire d'hypersensibilité.
L'oreille n'est pas le passage obligé pour transmettre le son jusqu'au cerveau. La peau et les os sont également des voies efficaces.
Il est fréquent que des personnes ne reconnaissent pas leur voix enregistrée. C'est tout à fait normal puisque nous avons l'habitude de l'entendre non seulement par nos oreilles, mais par nos os et notre chair. Lorsqu'on effectue un audiogramme pour diagnostiquer l'audition, on teste aussi bien l'audition par l'air que l'audition par la conduction des os du crâne.
Si nous sommes immergés dans l'eau, oreilles comprises, et que nous écoutons de la musique diffusée dans l'eau, par exemple comme le propose François Louche, il est étonnant de constater combien nous percevons cette musique avec clarté dans l'eau, même en nous bouchant les oreilles. Nous la ressentons dans tout le corps (voir article Résonances corporelles).
Encore plus insolite, quoique familier: nous pouvons entendre des sons intérieurement, soit parce que volontairement nous les chantons "mentalement", soit parce qu'ils surgissent en nous comme une voix intérieure. Par exemple une rengaine nous trotte dans la tête de façon inopinée. D'ailleurs comment font les compositeurs pour trouver leur musique? Ils entendent le son qui se déroule en eux, même s'ils le concrétisent immédiatement au piano, ils le sentent vibrer et le retranscrivent.
Dans le chant intérieur, il n'y a pas de vibration physique de l'air ambiant, pas d'onde sonore. Mais par similitude avec les sons produits physiquement, on peut toujours caractériser la hauteur de ces sons par leur fréquence.
La production mentale du son est la preuve que le son est créé dans le cerveau. Il est donc surprenant que certains ne le définissent que comme la vibration physique de l'air (phénomène physique), comme s'ils ne connaissaient pas cette expérience évidente des phénomènes psychiques.
Résumons: La matière vibre et émet des vibrations qui se propagent en s'atténuant avec la distance. Ces vibrations ont des plages de fréquences très étendues qui affectent notre corps, notre peau, notre oreille, et provoquent des effets sonores. Le tympan est un filtre physiologique qui ne laisse passer qu'une plage réduite de fréquences et de volume et la sensation sonore se produit lorsque l'influx nerveux arrive au cerveau. Donc le son est une impression intérieure suscitée par une excitation extérieure.
Je reviens avec insistance sur le double caractère du son: il est à la fois matériel (physique) et mental (sensation, perception).
Toutefois, même s'il a quelque chose de matériel, il n'est pas un objet, on ne peut pas le toucher, il n'a ni forme ni poids. C'est un rayonnement et comme tous les rayonnements, il est de nature vibratoire. Il se propage.
Dans l'expérience immédiate, les perceptions que nous en recevons de nos organes des sens nous suggèrent de classer les manifestations en deux grandes catégories: les objets et les rayonnements (voir article Matière et rayonnements)
Le son est très intimement lié à la matière, car il est provoqué et se propage par les vibrations de la matière. A tel point que le son est capable de modeler de la matière fluide. C'est ce qu'a montré par exemple Hans Jenny dans des expériences qu'il a nommées de la "cymatique". Sous l'influence de sons transmis par des plaques vibrantes, des fluides ou de la poudre prennent des formes étonnantes (voir l'article le son et les formes).
Comme tous les rayonnements, le son ne se manifeste à nos sens ordinaires que s'il rencontre de la matière (le tympan, la peau, la membrane du micro). On pourra comparer le rayonnement sonore et le mécanisme de sa perception avec la nature et la perception des couleurs (voir article La nature de la couleur et la figure correspondante sur la perception).
Dans une série de 3 articles, nous avons examiné de façon sensorielle les caractéristiques physiques du son: hauteur, puissance, timbre. Nous allons laisser de côté ici l'approche purement sensorielle et profiter de notre nouveau savoir pour comprendre un peu plus le lien entre les caractéristiques physiques du son et les impressions sonores. Pour cela, effectuons quelques expérimentations à l'aide d'un microphone et d'instruments d'analyse.
Comment fonctionne un micro(phone)? C'est la vibration de l'air qui met en mouvement la membrane du microphone. La vibration mécanique de la membrane est transformée en vibration électrique. Ensuite la vibration électrique est acheminée dans des appareils électroniques qui la traitent et la transforment, par exemple l'amplifient ou l'enregistrent. Imaginons donc un son qui touche un micro où il est converti en signal électrique, lui-même enregistré sur un support matériel tel qu'une cassette magnétique ou un enregistreur MP3. Le signal électrique enregistré est la reproduction (presque) fidèle de la pression de l'air sur la surface du micro.
Lorsqu'on rejoue l'enregistrement dans un lecteur ou une chaîne hi-fi, c'est le chemin inverse qui se produit. Le signal électrique est converti en vibration de la membrane du haut-parleur, qui provoque les modulations de la pression de l'air ambiant, produisant l'impression sonore. Par la suite, nous allons examiner des enregistrements graphiques des courants électriques recueillis par un micro. Mais, pour la commodité de l'exposé, on peut tout aussi bien considérer qu'ils représentent le déplacement de la membrane ou la pression et l'énergie vibratoire de l'air.
La figure 4 est l'un de ces graphiques, reproduit de l'article sur le volume. Puisque l'onde sonore y est enregistrée intégralement en tant que variations de la pression de l'air, il doit être possible d'extraire dans ce graphique toutes les caractéristiques du son: hauteur, volume (ou puissance), timbre. C'est ce que nous allons analyser maintenant.
Figure 4. Son croissant et décroissant
Le caractère de volume a été examiné dans l'article Sensations sonores: volume. Le volume est relié au déploiement en hauteur de la courbe. On comprend bien que plus le son a de force, plus la membrane du haut-parleur peut vibrer loin de part et d'autre de sa position d'équilibre, de façon similaire à une balançoire qu'on pousse de plus en plus fort.
Ainsi le son se manifeste par une alternance de surpressions et dépressions de l'air, oscillant entre des valeurs négatives et positives. C'est pourquoi la courbe évolue de part et d'autre d'une ligne zéro, qui est la ligne d'équilibre quand il n'y a pas de son.
Ce qu'on nomme le volume, ou intensité, ou puissance du son, est proportionnel à la quantité d'énergie produite par le mouvement de la membrane et donc la vibration de l'air. Mathématiquement, l'énergie développée à un instant donné est mesurée (à un facteur constant près) par le carré de l'amplitude de la courbe à cet instant.
Nous savons par l'article sur la hauteur du son que celle-ci est reliée à sa fréquence. Où donc la fréquence est-elle visible dans la courbe? Pour la débusquer, il faut agrandir la courbe sur l'échelle des temps. Tandis que l'échelle de la figure 4 nous montre les secondes, la figure 5 a été dilatée jusqu'à montrer les millièmes de secondes. On peut alors nettement distinguer les variations de la pression de part et d'autre du zéro (échelle verticale de gauche).
Figure 5. Courbe de variation de la pression sonore. C'est la même que celle de la figure 4 agrandie à l'échelle des millièmes de seconde. Elle montre la répétition périodique de l'onde sonore. La ligne verte supérieure donne le volume.
On constate que les variations se répètent de façon quasiment identique sur une période de temps identique. C'est la période répétitive ou cycle. C'est cette répétition cyclique qui est responsable de la perception de hauteur. La fréquence est le nombre d'occurrences de cette période en une seconde. Dans l'exemple ci-dessous, la période est d'environ 2/1000e de seconde, soit une fréquence proche de 500 Hz. Précisément, c'est un LA3 de 440 Hz.
Après avoir dilaté la courbe avec ce détail, le volume du son y est beaucoup moins visible. On a vu qu'il se montre dans les positions extrêmes de l'amplitude. Il ne se "soucie" pas des variations à l'intérieur d'une période. Le volume est donc figuré par la ligne de crête que j'ai figurée en vert.
Nous savons par l'article correspondant que le timbre est dû aux harmoniques qui se superposent au son fondamental et à leur évolution dans le temps. Reste à trouver où elles se logent dans la courbe. On va trouver le timbre à l'intérieur d'une période, c'est-à-dire dans l'espace délimité par un des traits rouges de la figure 5. Puisque la répétition de ce motif donne la fréquence, c'est le profil particulier d'une période qui est caractéristique du timbre. En effet lorsqu'un son est réduit à sa composante fondamentale, l'harmonique 1, le profil est alors celui d'une courbe sinusoïdale (figure 6). Le son est dit "pur" (selon la conception de pureté du physicien, c'est-à-dire exempt d'harmoniques).
Figure 6. Son pur sinusoïdal
Comme les mots "sinusoïdal" ou "sinus" sont employés quelquefois à tort et à travers, je précise son sens. Le mot "sinus" vient du latin et veut dire un "pli". Il a d'ailleurs donné le mot "sein" (qui veut dire pudiquement un pli dans le vêtement!). Mathématiquement, c'est un pli régulier et symétrique tel que celui montré sur la figure 6, qui peut seulement être étiré en largeur (ou comprimé en hauteur), et dont la véritable définition mathématique repose sur les propriétés géométriques du cercle.
Il est possible de produire artificiellement des sons purs avec des générateurs de sons électroniques. L'illustration sonore sur les harmoniques en est un échantillon. Pour l'oreille, ce son paraît plat. Cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas de valeur, mais l'émotion qui s'en dégage exprimera plus un aspect mécanique que la chaleur d'une voix.
Le profil d'une note telle que celle de la figure 5 est dû à la superposition des courbes sinusoïdales de chacune de ses harmoniques. Par définition, leurs fréquences sont des multiples de la fréquence fondamentale, ce qui signifie que la période des oscillations de la deuxième harmonique est 2 fois plus courte, puis pour les suivantes 3, 4, 5, etc.. plus courtes.
Figure 7. Exemple de sonagramme
Pour déterminer quelles sont les harmoniques qui sont présentes dans un son donné tel que celui de la figure 5, on décompose son profil. La façon la plus artisanale de le faire (et la seule possible avant l'ère de l'électronique) fait appel à des résonateurs physiques qui se mettent en résonances ou non lorsqu'on produit la note. Cela ressemble à l'exercice de résonance des cordes de piano vu dans l'article Sensations sonores: timbre. Or il se trouve qu'une transformation mathématique de la courbe de l'onde peut nous donner le résultat: c'est la transformée de Fourier. L'ordinateur la calcule très vite et l'affiche sous forme du sonagramme. Dans un sonagramme (figure 7), on voit le temps se dérouler le long de l'axe horizontal. L'axe vertical montre les fréquences étagées des multiples harmoniques, espacées de façon régulière, car leurs fréquences sont multiples de la fréquence de base. Enfin la puissance du son est indiquée par l'intensité du gris des traits.
On a donc trouvé, dans la variation de la pression en fonction du temps, les 3 caractéristiques du son: sa hauteur, son volume et son timbre. Mais alors, comment se fait-il qu'il puisse y en avoir trois, alors qu'il n'y a que 2 variables, la pression et le temps? Comment avons-nous fait? Où s'est produit la distinction?
Tout simplement parce que la hauteur et le timbre sont deux expressions différentes de la variation de pression, les variations responsables du timbre étant contenues dans une période, la hauteur étant produite par sa répétition. C'est donc bien notre perception sonore qui nous a conduit à distinguer les deux, car qui aurait eu l'idée de décomposer en deux variables une banale courbe de pression telle que la figure 5, si ce n'est pour rendre compte de notre perception? Oreille et cerveau combinés sont de puissants analyseurs.
Son musical et perception auditive, Jean-Claude Risset, directeur de recherche au CNRS, au Laboratoire de mécanique et d'acoustique (LMA) à Marseille. Dans "Pour la Science", Novembre 1986.
Mai 2006