Les notes de musique
doivent-elles être normalisées par un diapason
(LA 440, LA 432 ou autre)?
Les aléas historiques de la fréquence du LA
Deuxième partie
Alain Boudet
Résumé: 1. Depuis 1953, une norme internationale recommande d'accorder les instruments de musique à la fréquence de 440 hertz pour le LA. C'est une volonté récente, car dans le passé, on ne s'intéressait qu'aux intervalles entre les notes et on ne savait pas mesurer leur fréquence.
2. Fixer un diapason à 1 Hz près a un sens purement technique car musicalement, les notes émises par les instruments sont fluctuantes et varient avec la température et le souffle. Lorsque vous entonnez une chanson, vous ne vous souciez pas du diapason. La nécessité d'un diapason commun est apparue pour des motifs pratiques et commerciaux, afin de faciliter la musique professionnelle d'ensemble et la fabrication des instruments.
3. Au moins jusqu'au 18e siècle, le diapason des instruments variait d'un endroit à l'autre, d'une époque à l'autre et d'un instrument à l'autre. Puis des tentatives de normalisation ont été effectuées, mais le choix des valeurs retenues a suscité des controverses, qui ne se sont pas éteintes avec la normalisation internationale de 1953.
4. Le choix d'un diapason plus haut ou plus bas peut affecter le rendu sonore et la performance vocale des chanteurs lorsqu'il s'agit d'interpréter des œuvres écrites dans le passé. L'essentiel est l'impact émotionnel et physique de la musique sur l'auditeur. Il résulte de paramètres complexes qui dépassent de loin la question du diapason.
Contenu de la deuxième partie
Contenu de la troisième partie
Contenu de la quatrième partie
La rigueur mathématique de la valeur du diapason exprimée en hertz, typiquement 440 Hz, contraste avec la réalité concrète de l'émission sonore des instruments. Examinons dans quelle mesure une précision de 1 Hz peut avoir un sens musical pour les notes produites par un instrument?
Elle ne peut avoir un sens que si l'instrument produit des sons dont la fréquence reste fixe à 1 Hz près. C'est effectivement le cas des instruments à synthèse électronique (synthétiseurs, pianos électroniques) dont toutes les caractéristiques sonores (fréquence, timbre, volume) sont contrôlées. Cela ne concerne donc que ce type d'instruments d'existence très récente.
Mais en ce qui concerne les autres instruments, la hauteur de leur émission fluctue. Elle n'est pas le résultat d'un processus strictement mécanique. Le son nait de l'action, de l'énergie et de la pensée d'un instrumentiste en symbiose vivante avec son instrument. En particulier, la hauteur du son d'une note varie avec la pression de l'air exercée et avec la température de l'instrument.
Émettre une note fixe tenue en soufflant dans un instrument à vent ne produit pas un son fixe. Il s'étend sur une certaine fourchette de fréquences liée à la façon dont on souffle (le jeu). Si on souffle plus fort, le son peut monter ou baisser.
Interrogé sur cette question, René Caussé, directeur de l'équipe de recherche en acoustique musicale à l'IRCAM de Paris (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), m'a précisé: La fréquence [d'un instrument] peut varier avec la nuance de jeu. Par exemple pour la clarinette, lorsque l’on joue plus fort, la fréquence de jeu diminue. Si l’on remplace le musicien par une bouche artificielle et que l’on agit uniquement sur la pression dans la bouche, on remarque que c’est le contraire qui se produit, la fréquence augmente avec la pression dans la bouche. En fait le musicien pour jouer plus fort va agir sur plusieurs paramètres de contrôle: la pression dans la bouche, la force d’appui de la lèvre sur l’anche et éventuellement la position de l’application de cette force.
Selon les études du professeur Émile Leipp (1913 - 1986) et de Michèle Castellengo (Groupe d’Acoustique Musicale) effectuées dans les années 1970 - 80 avec des flutes traversières, le ton varie d'environ 4 à 6 Hz selon la façon de positionner la bouche.
Prenons le cas d'un instrument ancien comme le cornet à bouquin. C'est un instrument à vent en bois de forme allongée généralement courbe. Il résulte de l'évolution d'un instrument plus ancien fait d'une simple corne animale percée de trous. Son corps est constitué de deux parties en bois, creusées en demi-perce conique, puis assemblées et collées. Il est ensuite taillé extérieurement en 8 pans ou arrondi, et percé de 6 ou 7 trous. On ajoute une embouchure séparée, en forme d'entonnoir. Enfin, il est entouré d'une gaine en cuir ou en parchemin. Le cornet à bouquin apparait en Italie au 15e siècle, et se répand dans toute l'Europe. Il était très utilisé au 17e siècle.
Cornet à bouquin
Merci à APEMUTAM
Interrogé, le facteur de cornets Damien Bardonnet m'a répondu ceci: Le diapason (au sens moderne du terme) est une notion floue pour un cornet... Un même instrument, joué avec différentes embouchures, ou différents musiciens, peut sonner à des diapasons variant de plus d'un quart de ton [...] Un même musicien [...] muni du même matériel vous dira que le diapason change selon qu'il a mangé du poireau ou bu la veille... C'est dire si cette notion est vague ! Une simple mesure du LA [avec nos instruments scientifiques actuels], note flexible s'il en est, [...] est donc assez aléatoire !
Pourtant, sur le marché, des cornets de fabrication récente sont labellisés aux diapasons bien précis de 392, 415, 440, 465, 490, ou 520 Hz. Damien Bardonnet explique qu'il ne s'agit pas là de la valeur précise de leur LA, mais d'une nomenclature pour désigner le type de l'instrument. Un cornet en 440 permet de jouer avec les doigtés standards en accord avec un clavecin accordé à 440 Hz.
Afin de préparer le lecteur à la multiplicité des diapasons que j'évoquerai dans la troisième partie, il faut préciser que le hautboïste Bruce
Haynes, chercheur minutieux sur les instruments anciens et leur diapason, (1994) rapporte ceci: Un joueur chevronné, Douglas Kirk, me fit la démonstration d'embouchures de différentes tailles et différentes formes. L'écart de fréquences obtenu en touchant l'embouchure avec la paume atteignait une quinte. Toutefois, sur l'instrument, et dans les conditions réelles [identiques] de la représentation, [les
joueurs professionnels] jouent exactement au même diapason. De sorte qu'on peut définir un ton de cornet.
Des variations de fréquence d'émission ont lieu aussi avec les instruments à cordes. Selon l'enquête fouillée du même Bruce Haynes (2002), quand un violoniste joue dans la nuance forte, le son est 5 Hz plus haut que lorsqu'il joue piano.
Quant aux chanteurs, leur voix oscille sur un intervalle de 5 à 7 Hz dans leurs vibratos.
Ce que l'on peut en déduire, c'est que les sons vivants, émis par des individus sensibles, sont malléables, plastiques, et n'ont rien à faire avec des considérations mathématiques.
Les instruments à vent, que ce soient des cornets, des hautbois, ou des orgues, sont sensibles à la température et à l'hygrométrie de l'air.
Selon des données fournies par l'IRCAM, calculées avec le logiciel RESONANS (citées par le site web papiermusique), le diapason d'un instrument à vent qui est de 440 Hz à 20°C, descend à 436 Hz à 15°C, et à 433 Hz à 10°C. Il monte à 444 Hz à 25°C et à 447 à 30°C. En Angleterre, dans les églises non chauffées, la variation de hauteur entre hiver et été peut aller jusqu'à 18 Hz.
Note de physique: Les fréquences sont proportionnelles à la racine carrée de la température absolue. Définition de la température absolue: voir mon article L'éther de la physique quantique.
Inversement, le diapason des instruments à cordes (clavecins, luths, violons) baisse lorsque la température ambiante augmente.
La température d'un instrument à vent dépend non seulement de la température ambiante, mais aussi du souffle qui le traverse. Pendant un concert, les instruments à vent chauffent. À propos des cuivres, René Causse précise que généralement on considère que le musicien souffle un air plus chaud [que la température ambiante], de l’ordre de 28,5°C, ce qui fait une différence [de hauteur] de l’ordre de 16 cents (100 cents représentent 1/2 ton). On peut rajouter aussi à ces variations l’influence de l’air soufflé qui est plus chargé en CO2 et une concentration importante de CO2 fait baisser la fréquence de jeu.
Dans un orgue, de surcroit, la température n'est pas homogène dans les tuyaux, et l'équilibre thermique est sans cesse mouvant.
Lorsqu'on cherche à mesurer la valeur du diapason d'un instrument ancien, les appareils fournissent des résultats en Hz, par exemple 415 Hz. Mais en réalité, à cause des fluctuations, c'est une moyenne qui sous-entend des variations entre 410 et 420 Hz.
Émile Leipp et Michèle Castellengo ont effectué des mesures pendant des concerts de l'opéra de Paris dans les années 1970. Ils ont relevé des fluctuations du LA de l'ordre de 10 Hz. Ni les musiciens, ni les auditeurs ne sont conscients de cette variation au cours de l'interprétation.
Contraindre une note à rester à un niveau fixe est une préoccupation récente qui est apparue avec les pratiques modernes d'accordage influencées par les apports de la physique et de l'électronique, que j'ai exposés dans la première partie.
Si les sons sont "plastiques", comment expliquer le besoin moderne de définir un diapason très précis?
Nous allons nous transporter dans des contextes musicaux divers afin de nous rendre compte dans quelles circonstances apparait l'intérêt ou la nécessité de définir un son commun de référence. Un son commun de référence n'implique pas forcément qu'il soit normalisé universellement. Il peut être limité à une circonstance locale et éphémère.
Vous êtes seul(e) et l'envie vous vient de chanter spontanément Hallelujah de Leonard Cohen. Vous entonnez cette chanson à la hauteur qui vous vient naturellement. La hauteur de la note de départ détermine toutes les autres. Même si vous chantez la chanson plus haut ou plus bas que Leonard Cohen, Hallelujah reste Hallelujah, et les personnes qui vous environnent la reconnaissent et pourraient la chanter avec vous. Le diapason n'intervient pas dans l'identité de la chanson. Bien que le compositeur contemporain l'ait écrite dans un certain registre, la hauteur est secondaire.
Hallelujah interprétée par la chanteuse chinoise GEM (Gloria Tang Zhi-Kei)
Question: lorsque vous avez entonné la chanson, vous êtes-vous soucié de la valeur du diapason?
Probablement pas. Vous vous êtes peut-être soucié de la prendre ni trop haut, ni trop bas, pour qu'elle corresponde à votre registre vocal. Cette hauteur de départ peut varier selon votre état, différente si vous chantez le matin ou le soir, un jour ou un autre. Elle correspond à ce que vous êtes.
C'est exactement l'esprit dans lequel les chanteurs choisissaient leur hauteur chez les Grecs et au Moyen-Âge.
Au Moyen-Âge, avant que ne se répande l'usage des instruments à clavier, la musique sacrée et la musique profane étaient uniquement chantées. Le chantre prenait la hauteur qui correspondait à sa voix, en rapport avec l'étendue musicale (la tessiture) de la pièce à chanter.
La notion de diapason était complètement étrangère à la musique occidentale antérieure au 16e siècle. Il est vrai qu'une hauteur était parfois indiquée sur la "partition". Mais c'était, comme l'écrit Ludovico Zacconi à Venise en 1596 dans Prattica di Musica, pour avoir des égards pour ceux qui chanteront, afin qu'ils soient à leur aise avec la hauteur, ni trop haut ni trop bas. (cité par Dolmetsch Online)
Il y a donc bien l'indication d'un ordre de grandeur de la hauteur. Mais elle reste indéterminée dans une certaine fourchette, favorable à la voix du chanteur.
Cette indétermination se reflète dans la pratique de la solmisation. Elle consiste à chanter les notes avec des syllabes.
Actuellement, nous solmisons avec les syllabes do, ré, mi, fa, sol, la, si. Pour nous, chacun de ces noms est associé à une hauteur parfaitement définie. Or cela résulte d'une évolution récente. Auparavant, ces syllabes, qui se limitaient à ut, ré, mi, fa, sol, la ne désignaient que des hauteurs relatives. N'importe quel nom de note pouvait être associé à n'importe quelle hauteur. Ils appartenaient à des hexacordes, groupes de 6 notes définis par leurs intervalles, comme nos modes contemporains à 7 notes. (voir l'annexe Hexacordes et solmisation)
En pratique, des chantres à la voix grave chantaient plus bas que ceux à la voix plus aigüe, sans pour autant changer le nom des notes. Si la chanson commençait par un SOL, défini par son appartenance à un hexacorde, on chantait SOL, quelle que soit la hauteur de la chanson. Les noms des notes définissaient des intervalles, pas des hauteurs absolues (principe modal).
Cette solmisation qui emploie les noms de notes do, ré, mi, etc. pour désigner des hauteurs relatives mobiles a été défendue en France par Pierre Galin (1786 - 1821) et ses idées ont été propagées par Aimé Paris et Émile Chevé (Méthode Galin - Paris - Chevé, 1862).
La solmisation est pratiquée encore actuellement dans les pays anglophones avec les noms do, re, mi, fa, so, la, ti, qui indiquent les degrés de la gamme, tandis que la hauteur absolue est désignée par les lettres A à G. C'est le système Tonic Sol-Fa inventé par l'enseignante anglaise Sarah Anna Glover (1785 - 1867), élargi par John Curwen (1816–1880). En Hongrie, la méthode d'éducation musicale développée par le compositeur Zoltán Kodály (1882-1967) inclut également ce système.
Do-Re-Mi, chanson extraite du film The Sound of Music avec Julie Andrews, 1965
L'attention qu'apportaient les musiciens aux intervalles entre les notes (hauteur relative) et leur indifférence vis-à-vis de la hauteur absolue se reflètent dans la notation musicale écrite employée à partir du 9e siècle et plus tard.
Celle-ci consistait en signes courbes ou carrés appelés neumes. Initialement, il n'existait pas de portée comme actuellement. Puis une ligne horizontale a été introduite comme repère d'un son de base. Mais sa hauteur n'était pas déterminée. Puis on employa deux lignes, puis 4, avant d'en arriver à 5. Dans tous les cas, elles n'indiquaient que des hauteurs relatives.
Notation musicale en neumes avec une ligne de repère au 11e siècle |
Notation musicale en neumes carrés sur 5 lignes vers 1300 |
Actuellement, la notation sur une portée est fondamentalement relative. Elle ne devient absolue que lorsqu'on inscrit une clé au début de la portée (clé de SOL, de FA ou d'UT). La clé détermine le nom des notes en fonction de leur position sur les lignes et interlignes.
Vous êtes maintenant en groupe, à une fête d'anniversaire par exemple, ou en randonnée, et vous voulez chanter tous ensemble. Quelqu'un entonne donc Hallelujah et votre voix se joint à la sienne. Vous chantez avec lui sur le même ton, vous êtes en accord, même si ce n'est pas forcément la hauteur que vous auriez prise spontanément.
Question: La personne qui a initié le chant a-t-elle sorti un diapason de sa poche pour déterminer à quelle hauteur le groupe devait chanter la mélodie? À moins qu'elle ne soit un professionnel, ou un amateur avancé, cela arrive rarement. Vous avez pris spontanément le ton qu'elle a donné.
Donner le ton, c'est fixer la hauteur de la note de départ. Peu importe quelle hauteur, il est seulement recommandé que la personne la choisisse de telle sorte que les hauteurs extrêmes de la mélodie restent accessibles à tout le monde sans forcer la voix.
Cette pratique est employée dans des groupes populaires qui n'ont pas reçu d'éducation en solfège. C'est le cas dans les groupes de chant Sacred Harp en Amérique du Nord. Des amateurs se rassemblent en se disposant en carré (sans harpe ni autre instrument) et chantent a capella des chants répertoriés dans le livre Sacred Harp (d'où leur nom), publié d'abord en 1844 par B.F. White et E. J. King. Ils mènent un chant chacun à leur tour. Pour commencer le meneur donne le ton, choisi pour que le groupe soit à l'aise dans toute l'étendue en hauteur de ce chant particulier.
Si vous chantez, seul ou en chœur, en étant accompagné par un instrument, le choix d'un ton initial se complique.
Lorsque vous entonnez une chanson, l'instrumentiste détermine sur quelle note vous démarrez, et vous suivra, à condition qu'il puisse accorder son instrument sur votre voix.
Or la hauteur des notes de l'instrument est plus ou moins fixée par sa construction, et le musicien ne peut l'ajuster que dans une certaine étendue qui varie avec le type d'instrument. Si vous êtes en harmonie avec aucune de ses notes, c'est-à-dite si vous êtes un peu décalé vers le haut ou vers le bas, il vous demandera de vous ajuster à son diapason.
Quel est donc son diapason? Tout dépend de l'instrument.
Imaginez que vous êtes accompagné à la guitare. Le guitariste a la possibilité d'ajuster rapidement chacune de ses cordes, tout comme un violon ou d'autres instruments à cordes. Il peut donc choisir le diapason qu'il veut, par exemple en choisissant le MI de la première corde. Ce qui est essentiel, c'est qu'une fois fixé ce MI, les intervalles avec les autres cordes soient justes. Avec cette condition, vous vous régalerez de chanter même si vous n'êtes pas réglés sur la norme internationale.
Dans l'histoire occidentale, cela se passait à peu près comme je viens de le décrire lorsqu'un chanteur ou une chanteuse étaient accompagnés par un instrument tel que le luth. Le chanteur choisissait le ton adapté à sa voix, et l'instrument se calait sur la voix du chanteur.
Par contre, l'accordage d'un piano est une opération longue et délicate. Il faut faire intervenir un accordeur de métier et le pianiste espère que cet accordage va durer suffisamment longtemps.
Toutefois, sans modifier son accordage, le pianiste a la possibilité de décaler la hauteur de la mélodie par degrés multiples d'un demi-ton.
Un demi-ton, c'est le plus petit intervalle entre deux notes voisines de la gamme, par exemple entre le SOL# et le LA (soit entre 415 Hz et 440 Hz selon les normes actuelles).
Lorsque le pianiste se décale de cette façon, il change la tonalité dans laquelle il joue. Par exemple il effectue un décalage d'un ton en passant de la gamme de DO majeur à RÉ majeur. C'est ce qu'on appelle transposer.
Il en était de même avec les orgues d'église. L'organiste se calait sur la voix du chanteur en transposant.
Les contraintes pratiques se font plus fortes lorsque plusieurs instrumentistes se rencontrent. Ils doivent prendre un peu de temps pour s'accorder afin de jouer ensemble dans le même ton. Mais lequel choisir?
A priori ils n'ont pas besoin de se référer à une norme internationale. D'ailleurs une telle norme a longtemps été inexistante. Il suffit de prendre l'un des instruments présents comme la référence, et les autres le suivent. L'instrument référent choisi est celui qui est le plus difficile à accorder et qu'on évite de modifier.
La guitare ou le violon peuvent rapidement être accordés à volonté en modifiant la tension des cordes. Par contre, la hauteur sonore des bois ou des cuivres est fixée par le fabricant dès leur construction. Toutefois, ils bénéficient de la possibilité de régler légèrement leur hauteur en déplaçant le bec ou l'embouchure. Enfin, si l'ensemble instrumental comprend un instrument comme le piano, les autres s'accordent sur lui.
C'est exactement ce qui se passait autrefois, alors qu'on n'avait pas de norme, ni internationale, ni nationale, ni locale.
Jusqu'à la Renaissance, les ensembles de musiciens étaient composés d'instruments d'un même type, par exemple des ensembles de flutes. Lorsqu'elles étaient fabriquées par le même facteur, elles étaient accordées de la même façon par construction. Mais ces diapasons de facture variaient largement d'un facteur à l'autre, selon les endroits. Ils variaient aussi selon les instruments. On peut dire qu'il a existé des diapasons de toutes les hauteurs dans un large intervalle de plus d'un quarte (2 tons et demi).
À la fin de la Renaissance (16e siècle) et au cours de la période
baroque qui lui a succédé (1600 à 1750 environ, variable selon les pays), la musique instrumentale changea de rôle et de style. D'accompagnante des voix, elle prit son indépendance et créa ses propres structures musicales, adaptées aux possibilités techniques des instruments. Des compositeurs écrivirent spécifiquement pour des ensembles instrumentaux: en Italie Claudio Monteverdi (1567-1643), en Allemagne Johann Sebastian Bach (1685 - 1750), Georg Philipp Telemann (1681-1767), en Angleterre Georg Friedrich Haendel (1685 - 1759), en France Jean-Philippe Rameau (1683-1764), etc.
Dans les ensembles orchestraux, des instruments de types différents se rencontraient, par exemple des cordes et des vents. De nouveaux instruments à vent étaient inventés. Certains avaient des diapason hauts, d'autres bas. Et malgré cela, ils devaient jouer en accord.
L'ensemble contemporain Doulce Mémoire, qui ressuscite la musique de la Renaissance avec une grande recherche d'authenticité, nous apprend que: Dans la grande écriture à six voix, les deux parties de dessus sont tenues par le cornet et le dessus de hautbois appelé aussi chalémie, et les autres parties par deux hautbois contralto, la sacqueboute et la basse de hautbois. Le diapason extrêmement haut de ces instruments, 520 hertz, soit une tierce mineure au-dessus de notre diapason moderne, confère à cette bande une sonorité puissante. (livret d'accompagnement de l'album Grand Bal à la Cour d'Henri IV)
Diapason à pompe, 18e siècle. Tons de l'Opéra et ton de Chapelle de Versailles.
Ancienne collection Louis Clapisson. Musée de la musique, Paris. Photo Jean-Claude Billing. Merci à Cité
de la Musique
Les instruments s'accordaient sur l'un d'eux choisi comme référence, tel que le cornet à bouquin qui présente, on l'a vu dans la première partie, un niveau assez fixe. Personne ne se préoccupait d'avoir un diapason universel. Par exemple, le diapason choisi pour la musique d'église était celui de l'orgue local.
La note de référence n'était généralement pas le LA comme maintenant, mais plutôt l'UT, ou le FA. L'UT correspond à la corde grave à vide du violoncelle, et au tuyau d'orgue de 8 pieds. Ce n'est qu'à la fin du 19e siècle que l'on a choisi le LA, car il correspond à la troisième corde à vide du violon.
À la fin du 17e siècle, les musiciens confièrent parfois le rôle de référence à un instrument entièrement dédié à cette fonction. C'était une flute sans trous appelée flute d'accord ou diapason à piston. Le facteur d'orgue Dom Bedos, moine bénédictin (1709 - 1779), auteur du traité L'art du facteur d'orgues, recommande cet instrument, dérivé de la flute de saule qui est fabriquée avec une tige de saule. On peut aussi la fabriquer avec une tige de frêne. En séparant le cœur du pourtour, on crée une partie coulissante, le piston. Dom Bedos conseille de marquer sur le piston les tons que l'on prendra sur un orgue parfaitement d'accord et bien au ton.
Comment faire en sorte que des instruments de facture et de diapasons différents puissent jouer ensemble?
Tout simplement, les fabricants s'arrangeaient pour que le décalage de diapason entre instruments soit un multiple de demi-tons. Il était fréquent d'avoir des différences de diapason de 1 ton, 1,5 tons (une tierce mineure) ou 2,5 tons (une quarte). Les instrumentistes savaient transposer d'une tonalité à l'autre. Cela faisait partie des talents de tout musicien expérimenté, tout particulièrement des organistes. Concrètement, si un instrument joue un DO, et qu'un deuxième a un diapason plus bas d'un ton, il doit jouer un RÉ pour sonner à la même hauteur.
Une survivance de cette pratique réside dans l'existence actuelle d'instruments dits transpositeurs, comme la clarinette. La clarinette la plus courante est dite en SI♭, car son LA (392 Hz) est plus bas d'un ton que la norme. Donc lorsque le clarinettiste émet un son avec le doigté de DO, le son émis est en réalité un SI♭. Pour transposer, le musicien lit une partition adaptée à son instrument, ou bien il lit la partition d'origine en changeant la clé, par exemple la clé d'UT à la place de la clé de SOL ou de FA.
Lorsque les musiciens se sont déplacés de place en place, ils rencontraient d'autres musiciens jouant du même instrument souvent accordé différemment. Cela soulevait des difficultés d'accordage sévères. Y remédier entrainait des dépenses car, pour les instruments à vent, il était impossible de modifier le diapason au-delà d'un petit ajustement, il fallait refaire un instrument neuf.
C'est de ces inconvénients qu'est née peu à peu l'idée d'instituer des normes pratiques. Le compositeur prussien Johann Joachim Quantz (1697 - 1773) écrit en 1752: La diversité des diapasons utilisés pour l'accord est des plus défavorables à la musique en général. En musique vocale, il a l'inconvénient que les chanteurs se produisant en un endroit où on a un diapason bas peuvent difficilement interpréter des arias écrites pour eux en un endroit où le diapason est haut, et vice-versa. Pour cette raison, on espère beaucoup que soit introduit un seul diapason pour tous les endroits." (Cité par Bruce Haynes)
À la période de l'industrialisation du 19e siècle, les facteurs d'instruments étaient particulièrement troublés. Ils distribuaient leurs instruments en série et non plus à l'unité, et desservaient des régions de plus en plus vastes. Fallait-il en fabriquer pour tous les diapasons possibles? La tâche devenait compliquée. Instituer un diapason commun pourrait permettre d'uniformiser la production artisanale.
En Grèce antique, la théorie et la pratique musicale s'appuyaient sur le concept de tétracorde, suite de 4 notes consécutives dont les deux extrêmes sont distantes d'une quarte juste (rapport de fréquences 4/3).
Si l'on s'en réfère au traité Le Istitutioni Harmoniche, du compositeur italien et grand théoricien de la Renaissance Gioseffo Zarlino (1517-1590), qui étudiait les systèmes musicaux de l'Antiquité et de son époque, les chanteurs de la Grèce antique avaient comme guide expérimental le monocorde, un instrument fait d'une très longue corde tendue sur une planchette et divisée par un chevalet mobile (voir la description dans la première partie de cet article).
La planchette du monocorde grec comporte des repères pour positionner le chevalet et l'indication de la note produite pour cette position. Or ces repères de notes sont groupés par 4 séparés par des intervalles précis, et l'ensemble est appelé un tétracorde.
5 tétracordes successifs sont inscrits sur la planchette. Chacun d'eux est désigné par un nom grec (hypaton, meson, diezeugmenon, ...) de même que les 4 notes de chacun des tétracordes. Les tétracordes se chevauchent, la note haute de l'un pouvant être aussi la note basse d'un autre. Il y a donc un total de 16 notes.
Le monocorde diatonique de l'espèce diatono selon Zarlino
Zarlino, Ist, édition de 1558, II, 28
Au Moyen-Âge, le moine bénédictin italien Guido (ou Gui) d'Arezzo (992 - après 1033) étend le tétracorde de deux degrés vers le bas, créant un hexacorde. Il remplace les noms grecs des 6 degrés de l'hexacorde par les noms syllabiques ut, ré, mi, fa, sol, la, quelle que soit sa hauteur.
D'après Yssandon 1582, 11v.
YSSANDON, Jean (1582). Traité de la Musique Pratique, Paris, Adrian le Roy et Robert Ballard
http://www.contrepoint-historique.com/20
Le système complet, souvent appelé main guidonienne parce qu'il l'avait inscrit sur les 5 doigts de la main à titre mnémotechnique, comporte 7 hexacordes totalisant 22 notes. Chacun est ancré à une hauteur repérée par les lettres A à G, appelées clés, indiquées sur la planche. Elles préfigurent les noms actuels des notes dans les pays anglophones et germaniques, et les clés de l'écriture musicale sur une portée.
Comme les hexacordes se chevauchent, à une clé correspond souvent une note de plusieurs hexacordes. Par exemple la même clé G peut désigner le SOL de l'hexacorde bas, le RÉ de l'hexacorde plus élevé, et l'UT de l'hexacorde supérieur. À la Renaissance, cette note était donc désignée comme G-sol-ré-ut.
Nous retenons de cette description que les syllabes ut, ré, mi, fa, sol, la correspondent aux six degrés d'un hexacorde, et non à une hauteur absolue.
Le chanteur solmise en utilisant les voix de l'hexacorde dans lequel sa mélodie évolue. Si elle dépasse les limites d'un seul hexacorde, il change d'hexacorde (muance ou mutation).
La notion de gamme était donc complètement inconnue.
On remarque que notre SI actuel est absent de la main guidonienne. Effectivement, au-dessus du LA, on change d'hexacorde, et on se retrouve sur un MI. Tous les demi-tons se chantent donc MI-FA.
Texte conforme à la nouvelle orthographe française (1990)
8 aout 2016