Le regard des microscopes
Microscopie à lumière, microscopie électronique, microscopie à force atomique
Alain Boudet
Dr en Sciences Physiques
Cet article est la reproduction du 12e chapitre de mon livre:
Voyage au cœur de la matière plastique, CNRS Éditions, 2003
En voici la table des matières: 1. Entrez en matière … plastique - 2.Les polymères sont parmi nous- 3.Ordre et désordre dans la matière, l'état amorphe - 4.Polymères cristallins - 5.Cristaux lamellaires - 6.Fibres - 7.Entre amorphe et cristal, les polymères cristaux liquides - 8.Composites et mélanges de polymères - 9.Copolymères - 10.Les gels et la gélification, percolation et fractales - 11.La diffraction des rayons par la matière - 12.Le regard des microscopes - 13.Les images et leur traitement - 14.Formes et forces
Disponible à CNRS Éditions, ainsi que dans toutes les librairies
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Résumé: Par quels outils les chercheurs ont-ils la possibilité de voir les microstructures de la matière? Nous examinons les différentes versions de la microscopie, leurs avantages et leurs limites: Microscopie à lumière, microscopie électronique, microscopie à force atomique.
Dans les chapitres précédents, nous nous sommes émerveillés sur la beauté et la variété des formes dans les polymères et nous en avons tiré quelques considérations sur leurs structures, sur l'organisation de leurs molécules et sur leurs caractéristiques physiques. Dans ce chapitre, nous nous penchons sur les instruments et techniques qui nous ont permis de réaliser les images de microstructures. L'instrument - de même que l'œil - agit comme un filtre entre la réalité et notre perception. Quelle est la nature du filtre introduit par le microscope entre la réalité et la perception? Dans quelle mesure les images recueillies sont-elles dignes de confiance? C'est dans le but de comprendre ces filtres et d'en apprécier l'importance que nous apportons ici quelques notions sur le fonctionnement des microscopes.
Par quels moyens avons-nous perçu les polymères et étudié leurs caractéristiques? En premier lieu, par nos yeux, bien sûr, mais aussi par notre toucher, et pourquoi pas nos autres sens. Mais cette perception sensorielle reste fortement limitée et pour explorer la matière de façon intime, nous avons utilisé de nombreux appareillages. D'abord la loupe, puis les microscopes optiques ou électroniques, appareils qui deviennent de jour en jour plus fins, plus performants et plus sophistiqués. Le danger de cette sophistication est qu'il est de plus en plus difficile de comprendre la nature exacte de l'information donnée par ces appareils. Les images obtenues dépendent de la façon dont elles se forment dans les microscopes et sont liées à leur qualité et à leurs performances.
Par analogie avec notre vision habituelle à l'œil nu, imaginons que nous voulions explorer un continent que nous ne connaissons pas. Si nous le survolons rapidement en avion, nous distinguerons seulement ses traits généraux (montagnes, plaines, fleuves, lacs, villes), à moins que des nuages voilent notre vision. Si nous arrivons d'une autre planète, il se peut même que nous prenions le nuage pour la seule réalité, sans penser qu'en-dessous se trouvent d'autres aspects de la vie. Si maintenant nous parcourons le pays en train, nous percevrons bien plus de détails: flore, faune, constructions, population, etc. Enfin, en marchant, nous aurons accès à des endroits invisibles depuis le train. De la même façon, lorsque nous explorons les polymères avec des microscopes, nous nous demandons ce que ces appareils sont capables de distinguer. Les détails détectables sont-ils analogues aux perceptions du hublot de l'avion, de la fenêtre du train, ou de l’œil du pèlerin?
Ill.12-01 - La lentille de verre d'une loupe donne sur la rétine de l'œil une image agrandie d'un objet
Pour observer les détails d'un objet dont la dimension est en-dessous de la limite de vision de l'œil, nous pouvons nous aider d'une loupe (ill. 12-01). Elle est constituée d'une lentille de verre dont la forme est calculée pour donner de l'objet une image agrandie. Il faut bien sûr que l'objet soit éclairé et renvoie la lumière vers l'œil à travers la loupe. L'objet est au point lorsqu'il est situé à une distance précise de la lentille qui dépend de sa force de convergence. En fait cette distance peut varier entre certaines limites qu'on appelle la profondeur de champ. L'image agrandie de la loupe comme celles de tous les instruments d'optique ne reproduit pas fidèlement l'objet, car elle est entachée de certains défauts appelés aberrations, plus ou moins importants selon la qualité de la lentille: la mise au point n'est pas parfaitement la même en tous les endroits à cause de l'astigmatisme, le pourtour est déformé par l'aberration sphérique, certaines irisations apparaissent parce que les faisceaux colorés ne convergent pas de la même façon (aberration chromatique).
Ill.12-02 - Microscope optique, équipé d'un appareil photo numérique et d'un ordinateur (documentation Olympus France)
Le microscope optique est une version améliorée de la loupe (ill. 12-02). Son usage est déjà ancien puisque nombre de résultats obtenus aux 17e et 18e siècles sur les cristaux et les êtres vivants lui sont redevables. La lumière qui éclaire l'objet peut être la lumière du jour renvoyée par un miroir sur les microscopes d'apprentissage, mais les microscopes professionnels sont équipés d'une lampe intégrée à intensité variable qui éclaire l'objet soit par réflexion soit par transparence. Le mode en réflexion se rapproche de notre vision à l'œil nu: l'œil reçoit la lumière colorée renvoyée par l'objet et perçoit ses formes et l'aspect de ses surfaces. La vision par transparence est possible pour les objets minces et transparents au moins par endroits. Elle permet de distinguer leur texture interne. Dans certains microscopes, on peut basculer d'un mode à l'autre. Le microscope optique est quelquefois appelé microscope photonique (mais le mot "photonique" fait un peu confusion car il s'applique à toute onde électromagnétique et pas seulement à la lumière dont la longueur d'onde est restreinte à une certaine gamme. Par ailleurs, le mot "optique" n’est pas sans ambiguïté puisqu'il existe aussi une optique électronique dans les microscopes électroniques. L’expression plus ancienne de "microscope à lumière" serait donc plus précise, mais elle semble délaissée par l’usage, bien que plus compréhensible par tous).
Ill.12-03 - Représentation schématique d'un microscope optique, en mode de transmission de lumière (documentation Olympus France)
Dans le microscope optique, la lentille de la loupe est remplacée par un assemblage de plusieurs lentilles dans un objectif (ill. 12-03). Elles se corrigent mutuellement de sorte qu'on peut obtenir de forts grossissements avec peu d'aberrations. Par contre la profondeur de champ est très faible. Le grandissement peut aller jusqu'à 1000 ou plus. En fait rien n'empêche de grandir encore l'image, mais elle devient floue, car la caractéristique significative n'est pas le grandissement, mais la résolution. C'est la taille du détail le plus fin qui puisse être isolé. Elle est limitée par la nature des lentilles et la longueur d'onde de la lumière. On peut atteindre dans le meilleur des cas le demi-micromètre. L'image est reçue par les yeux à travers deux autres lentilles, les oculaires. On peut aussi dévier la lumière vers d'autres circuits, soit pour enregistrer l'image sur film photographique, soit pour la recueillir avec une caméra, l'afficher sur un écran de télévision et l'enregistrer par ordinateur (chapitre 13 - les images et leurs traitements).
Le contraste d'une image est la qualité qui permet de distinguer un détail de son voisinage, grâce à la différence d'aspect entre les deux. En mode par réflexion, les détails se distinguent les uns des autres par la façon dont ils réfléchissent la lumière, soit par leur intensité, soit par leur couleur. En mode par transparence, les détails se distinguent par leur plus ou moins grande opacité ou son contraire, leur transparence. Chacun des modes est donc en rapport avec une sensibilité particulière de la matière, sa capacité à réfléchir ou à transmettre la lumière. Ainsi, l'image nous informe à la fois sur les formes et les structures de l'objet examiné, et sur sa sensibilité à la lumière. D'autres modes de contraste existent, utilisant d'autres sensibilités de la matière, comme par exemple le mode en lumière polarisée décrit ci-dessous, [ou encore le mode en fond noir ou le mode en contraste de phase].
La lumière est une onde électromagnétique, c'est-à-dire un champ électrique associé à un champ magnétique vibrant en phase et se propageant selon une trajectoire (ill. 12-04). Ces champs vibrent dans une direction perpendiculaire à la direction de propagation. Les manifestations lumineuses sont dues au champ électrique. Plus précisément, un faisceau de lumière est constitué de trains d'ondes multiples dont les champs électriques sont orientés dans toutes les directions perpendiculaires à l'axe de propagation. Certains dispositifs optiques (appelés polariseurs) ont la propriété de filtrer la lumière en conservant une seule direction du champ électrique et en éliminant les autres. La lumière qui en sort est dite polarisée. Si l'on dispose un deuxième polariseur, plus loin sur le trajet de la lumière, croisé par rapport au premier, la lumière est complètement arrêtée. Les observations en lumière polarisée utilisent ce phénomène.
Ill.12-04 - Représentation schématique d'un faisceau lumineux. À gauche dans un rayon de lumière naturelle se propageant vers la droite, le champ électrique figuré par les flèches, est orienté dans tous les sens autour de la direction de propagation. Après la traversée d'un premier polariseur, le champ électrique est filtré dans une seule orientation. Il est complètement arrêté par un deuxième polariseur en position croisée par rapport au premier. Si l'on introduit entre les deux polariseurs un cristal biréfringent, la lumière passe à nouveau.
Deux polariseurs sont placés en position croisée dans un microscope de telle sorte qu'aucun faisceau lumineux ne passe. Or si l'on place un cristal transparent entre les deux polariseurs, de la lumière passe à nouveau. En effet les cristaux ont la propriété de modifier la polarisation de la lumière. On dit qu'ils sont biréfringents. L'origine en est leur structure anisotrope: la lumière polarisée se propage différemment à l'intérieur de la matière selon l'orientation du cristal. Il en est de même dans les cristaux liquides (chapitre 07 - les polymères cristaux liquides) où la lumière se propage à des vitesses différentes dans le sens des molécules et dans le sens transversal. Il en résulte qu'à la sortie du cristal ou du cristal liquide, la polarisation de la lumière a tourné et une partie peut passer dans le deuxième polariseur et former une image. De cette façon, un monocristal, ou un monodomaine dans un cristal liquide apparaissent lumineux et colorés sur fond noir. Dans ce mode de contraste, les variations d'intensité lumineuse et de couleur traduisent les variations d'orientation du cristal ou du cristal liquide, et les changements de structure. Des images formées dans ce mode sont présentées au chapitre 04 sur les cristaux (ill. 04-04, 04-14) et sur les cristaux liquides au chapitre 07 (ill. 07-07, 07-11, 07-13).
Dans les microscopes électroniques, l'image est formée non plus avec un faisceau de lumière, mais avec un faisceau d'électrons. On sait depuis la théorie de la mécanique ondulatoire de L. de Broglie, puis celle de la physique quantique, qu'un faisceau de particules peut être décrit comme une onde dont la longueur d'onde est d'autant plus petite que l'énergie des particules est grande. Lorsqu'un faisceau d'électrons est accéléré par des tensions électriques de plusieurs milliers de volts, sa longueur d'onde est inférieure au dixième ou au centième de nanomètre. Les microscopes électroniques sont des appareils relativement récents, les premiers datant des années 1930. Ils ont subi et subissent encore de nombreux perfectionnements qui étendent et affinent leurs capacités. Avec les faisceaux électroniques, on est capable de fouiller les objets à des résolutions de l'ordre du nanomètre, et donc de faire des images à des grandissements supérieurs au million de fois. Il existe plusieurs types de microscopes électroniques. Les plus courants sont le microscope électronique à balayage et le microscope électronique en transmission.
Ill.12-05 - Un microscope électronique à balayage (documentation FEI company)
Le microscope électronique à balayage permet de faire des images de la surface des objets examinés (ill. 12-05). Les électrons sont produits dans un canon à électrons, puis accélérés sous une tension ajustable de quelques kilovolts à 30 kilovolts, et projetés sur l'objet. Ils réagissent avec les atomes de surface, produisent des électrons secondaires et d'autres signaux qui sont recueillis par des détecteurs et transmis à un système électronique qui reconstruit une image (ill. 12-06).
Le faisceau projeté sur la surface de l'objet a une taille minuscule, c'est un point de 0,5 à 3 nm de diamètre. Les électrons recueillis par le détecteur sont convertis en un signal électronique qui s'affiche sur un écran sous la forme d'un point dont l'intensité lumineuse est proportionnelle au signal recueilli. Un système de déflection balaie le faisceau (d'où le nom de cet appareil) en lignes successives sur une zone rectangulaire de l'objet, et l'image est reconstituée ligne par ligne sur un écran de télévision (un moniteur).
Ill.12-06 - Représentation schématique du fonctionnement d'un microscope électronique à balayage. Les lentilles électromagnétiques focalisent le courant d'électrons et le balaient sur la surface de l'objet. L'image est reconstituée électroniquement sur un moniteur.
Le signal électronique recueilli par le détecteur provient de la capacité du point de la surface touché par le faisceau à émettre des électrons en direction du détecteur. Comme celui-ci est placé sur le côté, l'intensité lumineuse d'un point de l'image reflète principalement l'inclinaison de la pente de ce point de la surface par rapport au détecteur. Les parties qui sont tournées vers lui donnent des points clairs et celles qui ont une pente opposée apparaissent en sombre, ce qui produit un effet d'ombrage. La nature chimique de la zone touchée influence également l'émission des électrons. Les surfaces métalliques produisent beaucoup d'électrons, tandis que les surfaces isolantes comme les polymères en fournissent très peu. Aussi, le plus souvent, afin de conserver une bonne résolution, on dépose par évaporation, une très fine couche métallique sur la surface du polymère.
Compte tenu de ces principes de fonctionnement, quelles sont les surfaces de polymères intéressantes à observer en microscopie électronique à balayage? Il y en a essentiellement deux types. Certains polymères présentent des surfaces libres qui sont naturellement structurées, ou qui se structurent d'elles-mêmes au cours des traitements qu'elles subissent. C'est le cas si l'on fond un petit morceau de polymère thermoplastique cristallin sur une plaquette, puis qu'on le refroidit lentement. La surface présente des reliefs caractéristiques. On peut aussi dissoudre le polymère, étaler une goutte de la solution sur la plaquette, puis laisser le solvant s'évaporer. Les figures qui apparaissent à la surface traduisent les mouvements de matière qui se sont produits lors de l'étalement des gouttes sur les plaquettes et les jeux des forces internes du polymère en contact avec l'air. Des exemples de telles surfaces de polymères vues en microscopie électronique à balayage ont été présentés dans les cristaux lamellaires (ill. 05-11 et 05-13 à 16), les fibres (ill. 06-03, 05, 07, 09 à 12, 14 et 16), les cristaux liquides (ill. 07-22), et dans les gels (ill. 10-02 et 03).
L'autre type de surface est obtenu en cassant un morceau de polymère (fibres, ill. 06-01 et mélanges, ill. 08-04 à 06). La surface de fracture n'est représentative de la structure interne du polymère que s'il est suffisamment rigide, car des déformations se produisent si le polymère est un peu caoutchouteux ou plastique. On les limite en trempant le polymère dans un bain d'azote liquide (température de -196°C), ce qui a pour effet de le rigidifier.
Ill.12-07 - Représentation schématique d'un microscope électronique en transmission. En haut, un faisceau d'électrons est formé et dirigé sur l'échantillon. La lentille objectif en donne à la fois une image et un diagramme de diffraction. Les lentilles projecteurs reprennent à volonté l'une ou l'autre, et en donnent une image agrandie sur l'écran.
Le microscope électronique en transmission est analogue au microscope optique en transparence (ou en transmission) décrit plus haut (ill. 12-07). Dans les deux appareils, un rayonnement est envoyé sur l'objet, on en recueille la fraction qui le traverse, et un système optique en forme une image. La grande différence est que le faisceau du microscope électronique est constitué d'électrons tandis que celui du microscope optique est constitué de photons lumineux. Ces deux rayonnements interagissent différemment avec l'objet observé et cela conduit à deux types d'image différents.
Lors de leur traversée de l'échantillon, les électrons réagissent fortement avec la matière. Ils sont déviés, diffusés ou diffractés. A la sortie de l'objet, un diaphragme sélectionne ceux d'entre eux qui n'ont pas été déviés ou qui ont été déviés seulement d'un petit angle, et ils vont former une image sur un écran. Dans les parties épaisses de l'objet, les électrons subissent des déviations nombreuses, et très peu atteignent le trou du diaphragme. Dans l'image, les zones correspondantes sont sombres, opaques. Au contraire, les parties minces traversées par une partie importante des électrons incidents, apparaissent claires sur l'image.
Un système de lentilles magnétiques forme l'image sur un écran phosphorescent ou sur une plaque photographique. Une caméra avec un moniteur cathodique, ou un capteur numérique peuvent aussi être installés (chapitre 13 - les images et leur traitements). Le faisceau électronique lui-même est formé à partir d'un filament chauffé placé sous tension qui fournit les électrons. Ceux-ci sont alors fortement accélérés à travers un canal qui traverse la colonne du microscope. Les tensions d'accélération disponibles dans les microscopes vont de 80 000 volts à 1 million de volts, quelquefois plus. Le faisceau est mis en forme et concentré sur l'objet par un système de lentilles condenseurs.
Ill.12-08 - Un microscope électronique en transmission
Les lentilles qui agissent sur les électrons sont des bobines électriques qui produisent des champs magnétiques. Elles sont constituées d'un enroulement d'un fil électrique, comme des électro-aimants. Elles sont bien plus volumineuses que les lentilles de verre des faisceaux lumineux, mais elles ont la propriété remarquable d'avoir une distance focale variable. On peut faire converger le faisceau électronique en modifiant le courant d'alimentation des lentilles. Cela permet de faire varier le grandissement de façon continue, par exemple, sans avoir besoin de changer d'objectif par sauts comme dans le microscope optique. Le grandissement peut atteindre facilement des valeurs de 1 million de fois, mais en fait, comme nous l'avons vu pour le microscope optique, c'est la valeur de la résolution qui donne une indication sur les performances de l'appareil. Celle-ci peut atteindre des valeurs aussi basses que 0,2 nm. Un système de pompage fait régner un vide poussé dans le canal intérieur de la colonne, car les électrons seraient déviés par des molécules de gaz trop nombreuses. Le microscope constitue ainsi un véritable meuble qui occupe bien sa place dans une pièce, pièce sombre d'ailleurs, pour bien distinguer l'image sur l'écran phosphorescent ou l'écran cathodique (ill. 12-08).
Afin d'être convenables pour la prise de vue, les échantillons doivent subir des préparatifs. Le faisceau électronique, à cause de sa forte absorption par la matière, peut traverser seulement des échantillons très minces. Typiquement, les échantillons observés ont une épaisseur comprise entre 10 nanomètres et 1 micromètre. Dans l'utilisation de la microscopie, un temps important est consacré à préparer les échantillons pour les rendre adéquats à l'observation afin qu'ils laissent entrevoir leur structure. Pour la microscopie électronique en transmission, des méthodes variées ont été développées pour rendre les échantillons extrêmement minces. En ce qui concerne les polymères, l'une d'elles consiste à fondre le morceau ou la poudre de polymère, à en prélever une goutte que l'on étale sur une fine membrane de carbone transparente aux électrons. Puis on laisse refroidir. Ou bien on dissout le polymère, on étale une goutte de la solution, et on laisse s'évaporer le solvant. Ces deux méthodes s'appliquent aux polymères fusibles ou solubles, ce qui n'est pas le cas de tous.
Lorsqu'on veut étudier un échantillon qui a subi des traitements précis, comme par exemple des cycles de températures, des étirements, il est prohibé de le fondre ou de le dissoudre, car ses structures seraient modifiées. Aussi, on observe l'échantillon tel quel en lui prélevant de fines tranches, grâce à un appareil nommé ultramicrotome. Sa pièce maîtresse est un couteau en diamant, sur lequel viennent se découper les lamelles, comme des tranches de jambon. Cependant, aucune méthode n'étant bien entendu universelle, seuls les polymères suffisamment durs supportent d'être découpés en tranches fines sans qu'elles se froissent ou se déchirent. On peut rigidifier certains d'entre eux en les refroidissant à des températures de l'ordre de -100 à -180°C. La méthode de congélation a été perfectionnée au point que l'on est capable de congeler de façon ultrarapide des substances gélatineuses, des émulsions ou des solutions liquides. On peut ainsi observer une goutte solidifiée, figée, à condition qu'elle soit suffisamment mince. Si les morceaux sont épais, des appareils les fracturent en deux morceaux, effectuent une empreinte de la surface de fracture que l'on observe ensuite, éventuellement en laissant s'évaporer une partie du liquide en surface (cryofracture et cryodécapage).
Ill.12-09 - Le contraste en microscopie électronique en transmission est dû à 3 facteurs. Les différences d'épaisseur (1); les différences de densité (2); la diffraction par des cristaux ou des zones ordonnées (3)
Examinons maintenant comment se forment les contrastes dans une image de microscope électronique en transmission, c'est-à-dire quels sont les facteurs qui rendent une zone sombre et une zone voisine plus claire. Un premier facteur que nous avons déjà abordé est la variation d'épaisseur de l'échantillon (ill. 12-09). Les zones épaisses absorbent plus d'électrons et apparaissent plus sombres. C'est très visible sur le cliché de la membrane amorphe qui s'est repliée à certains endroits, augmentant ainsi l'épaisseur traversée (ill. 03-05). La densité de la matière, qui résulte à la fois de la nature de ses atomes et de la façon dont ils sont compactés, intervient également beaucoup. Plus les atomes sont lourds, plus ils détournent les électrons. À épaisseur égale, des zones comportant des molécules plus lourdes ou plus compactées apparaîtront plus sombres. Un exemple: le mélange de deux polymères de densités différentes (ill. 08-07 et 08-09). Ce type de contraste reste toutefois très faible dans les polymères, car les molécules sont toutes composées essentiellement des mêmes atomes de base légers, carbone, hydrogène, azote, et oxygène. Des atomes en faible quantité tels que le chlore, le fluor qui les distinguent parfois n'introduisent qu'une faible variation.
Enfin, un autre type de contraste résulte de la diffraction des électrons dans les structures périodiques, cristaux, fibres et cristaux liquides (chapitre 11). Ainsi, dans un polymère semicristallin, les cristaux qui sont placés dans une orientation adéquate pour diffracter fortement apparaissent sombres sur l'image. Malheureusement, le contraste est très fugitif à cause de l'effet d'irradiation, comme il sera expliqué plus loin.
Il en résulte que le contraste reste souvent problématique dans les polymères. Difficile de distinguer une balle blanche sur un champ de neige! À moins de peindre la balle. Précisément, des méthodes de contraste artificiel se sont développées, s'ajoutant au travail de préparation. Elles consistent à introduire des atomes lourds (métalliques) ou à modifier l'épaisseur.
L'échantillon est imprégné par une substance liquide ou gazeuse qui contient des atomes lourds. Le contraste augmente si ceux-ci se fixent dans des parties préférentielles de l'échantillon. C'est ce qui a été fait dans le cas des copolymères (ill. 09-03 à 06, 09-08 à 12, 09-14), dans lesquels la partie caoutchoutique - le polyisoprène - a été noirci par le dépot de tétraoxyde d'osmium. C'est également le cas dans le polyéthylène semicristallin (ill. 04-05). Là, l'acide chlorosulfonique a teinté les parties amorphes, laissant blanches les lamelles cristallines. Les images ainsi obtenues sont souvent beaucoup plus parlantes, cependant, il subsiste toujours le risque que le processus de teinture modifie la structure initiale, risque qu'il convient d'évaluer au coup par coup.
Ill.12-10 - Représentation schématique de la technique de l'ombrage. Le métal est vaporisé selon une direction oblique et se dépose en une fine couche dont l'épaisseur dépend de l'inclinaison de la surface. Les reliefs sont comme soulignés, ce qui donne l'impression d'une ombre.
L'ombrage permet de révéler le relief d'une surface accidentée en déposant un film mince métallique (or, chrome) par évaporation oblique (ill. 12-10). Des exemples ont été montrés sur des monocristaux (ill. 05-07 à 10). L'effet d'ombrage dépend de l'orientation et de l'inclinaison de la vaporisation.
Si le métal vaporisé (de l'or) est restreint à une quantité faible, il ne forme plus un film continu sur la surface, mais va décorer des sites particuliers, tels que des creux ou des arêtes. Dans les monocristaux de polymères, un autre type de décoration par vaporisation d'un polyéthylène de faible masse, a donné de très jolis résultats (ill. 05-02c, 05-06). Les molécules courtes de polyéthylène se déposent sous forme de petits empilements orientés, alignés avec les repliements de surface sur les monocristaux. De cette façon, il révèle et souligne l'existence et les caractéristiques des replis de surface.
Si on laisse tremper un échantillon polymère dans un solvant doux pendant un temps limité ajustable, une faible couche est dissoute en surface. Si l'échantillon est constitué de plusieurs composants séparés, dont les vitesses de dissolution sont différentes, les plus solubles vont être creusés, dégageant les moins solubles qui apparaissent en relief. Cela nécessite d'employer un solvant adapté à chaque type de polymère. Ensuite, on a le choix d'observer la surface en microscopie électronique en balayage ou son moulage (son empreinte) en microscopie électronique en transmission (ill. 04-08, 04-12 et 13).
L'un des grands avantages du microscopie électronique en transmission est de pouvoir fonctionner dans différents modes d'images et de diffraction en passant facilement de l'un à l'autre. Il fournit ainsi des informations diverses et complémentaires sur une même zone microscopique de l'échantillon. Dans cette partie, nous entrons dans des explications techniques plus spécialisées qui permettront aux connaisseurs de mieux appréhender le langage des images de microscopie.
Comme nous l'avons expliqué plus haut, les variations d'intensité dans l'image proviennent de la sélection des électrons qui ne sont pas ou sont peu déviés, par un diaphragme de dimension choisie appelé diaphragme de contraste (ill. 12-07). Les électrons qui passent à côté de l'échantillon ne sont pas déviés, traversent le trou du diaphragme et participent fortement à l'image, de sorte que le fond autour de l'échantillon apparait clair. C'est pourquoi on nomme ce mode fond clair (ill. 05-02a). En aval de la lentille objectif, une image à petit grandissement se forme dans un plan bien défini caractéristique de toute lentille appelé plan image. Il y a un autre plan remarquable caractéristique de toute lentille, c'est son plan focal, là où convergent les rayons parallèles. C'est là où se forme le diagramme de diffraction de l'objet (chapitre 11). Plus en avant sur le trajet du faisceau, des lentilles projecteurs ont pour rôle d'agrandir ces images primaires. On peut les régler pour qu'elles captent soit le plan image de la lentille objectif - et l'on recueille sur l'écran, l'image en fond clair de l'échantillon -, soit le plan focal - et l'on recueille la diffraction d'une zone sélectionnée de l'échantillon. Il est aisé de former l'image en fond clair d'une région de l'échantillon et de commuter pour obtenir la diffraction de la zone observée (ill. 05-01 et 11-04).
Abandonnons maintenant le mode diffraction et laissons les lentilles projecteurs réglées sur le mode image. L'illustration 11-11a reprend la disposition du diaphragme pour le fond clair, qui élimine les électrons déviés. Dans l'observation de cristaux, une forte proportion d'électrons éliminés sont des faisceaux diffractés. En conséquence, les parties du cristal qui sont en position correcte de diffraction apparaissent sombres dans l'image. Nous allons maintenant changer le mode d'image en déplaçant le diaphragme de contraste afin de sélectionner un ou plusieurs faisceaux diffractés (ill. 12-11b). Alors n'apparaissent en clair que les parties de l'échantillon qui contribuent à ces faisceaux, celles qui par leur orientation diffractent fortement. Le fond ne diffractant pas, il apparait en noir, d'où le nom d'image en fond noir. Par un simple déplacement du diaphragme, il est aisé de sélectionner d'autres faisceaux diffractés, et de réaliser sur la même région de l'échantillon, une gamme de fonds noirs ainsi que le fond clair, puis de basculer en mode diffraction (ill. 05-02, 04-10 et 11).
Ill.12-11 - Représentation schématique des modes d'imagerie, au niveau de la lentille objectif (on n'a pas représenté le reste de la colonne, voir ill.12-07). En fond clair (a), le diaphragme de contraste laisse passer le faisceau direct et arrête les faisceaux diffusés ou diffractés. En fond noir (b), le diaphragme laisse passer les faisceaux diffractés. En mode d'interférence (c), il laisse passer les faisceaux diffractés et le faisceau direct. |
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a | b |
c |
Dans le cas de zones cristallisées très bien ordonnées présentant des diagrammes de diffraction suffisamment simples, symétriques et intenses, les images d'interférence fournissent des informations en haute résolution sur la disposition des plans cristallins. Nous en avons rencontrées sur des fibres hautement cristallisées (ill. 06-18) et dans les polymères smectiques (ill. 07-25). Son mode de formation est schématisé dans l'illustration 11-11c. Il est semblable à la disposition du fond clair, dont le diaphragme serait suffisamment grand pour englober les faisceaux diffractés proches et intenses. L'image des plans cristallins provient de l'interférence de ces faisceaux.
La structure cristalline des polymères est altérée extrêmement rapidement par l'impact du faisceau électronique. Au cours de l'observation au microscope, on constate que les diagrammes de diffraction deviennent de plus en plus flous et disparaissent. Corrélativement, les contrastes en fond noir, liés au caractère cristallin de l'échantillon, s'atténuent et laissent place à une teinte uniforme (ill. 12-12).
Ill.12-12 - Sous l'effet du faisceau électronique, la structure cristalline du polyéthylène de transforme pendant l'observation, et le contraste en fond noir disparait progressivement (de a à c) |
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a | b | c |
L'explication de ce phénomène est la suivante. Les électrons ont de nombreuses interactions avec les atomes. Ce sont d'ailleurs ces interactions qui sont exploitées pour former des images. Or ces mêmes interactions transfèrent de l'énergie aux atomes de l'objet rencontrés. Dans la majorité des cas, cette énergie se dissipe sans conséquence, mais dans certains cas, elle casse les liaisons dans les molécules polymères et les coupe en morceaux. Ces morceaux hautement réactifs se recombinent entre eux de façon aléatoire. Cela a pour conséquence de détruire l'ordre cristallin, et de le remplacer par de l'amorphe. Aussi, faut-il prendre de grandes précautions pour réussir à enregistrer ces diagrammes et ces images cristallines avant leur disparition. On travaille à très faible courant électronique, c'est-à-dire avec un faible éclairage de l'écran. Les clichés doivent être pris sur des zones intactes, qui ont reçu une dose minime d'électrons. Le temps de pose photographique est réduit au minimum, quitte à compenser le manque d'intensité par un traitement d'image consécutif. La conséquence de cette altération par l'irradiation est la forte limitation de la résolution des images. En effet si l'on tentait de l'améliorer en augmentant le grandissement du microscope, on focaliserait davantage le faisceau électronique sur la zone d'intérêt, et ... on l'endommagerait davantage!
Cependant, il est possible d'améliorer la résolution et d'allonger le temps dont on dispose pour effectuer ces clichés en abaissant la température de l'échantillon grâce à un porte-échantillon spécial refroidi à l'azote liquide. Les basses températures retardent la recombinaison des morceaux de chaînes et l'amorphisation. Une autre méthode est d'utiliser des microscopes dont la tension d'accélération est plus élevée. Le temps utile est multiplié par 5 environ lorsque la tension passe de 100 000 volts à 1 million de volts (mais cela dépend du polymère observé). La plupart des microscopes disponibles fonctionnent entre 80 000 et 400 000 volts, ce qui laisse assez peu de marge. Dans ces conditions, il est possible d'obtenir des résolutions de l'ordre de 0,3 nanomètres pour les polymères les plus résistants (ill. 06-18).
Le microscope à force atomique n'a rien de commun avec les précédents microscopes, mise à part sa capacité à former une image très agrandie d'un échantillon. Il en donne la topographie de la surface, et en cela il est comparable au microscope à balayage. Cependant la façon dont est formée l'image est fondée sur un principe entièrement différent. L'échantillon de petite dimension est déposé sur un support horizontal. Une pointe très fine est déplacée en ligne droite horizontalement, avec la contrainte de rester en contact avec la surface (ill. 12-13). La pointe constitue donc une sonde locale qui palpe l'échantillon, réagit et envoie un signal d'information. Ce sont les variations de hauteur qui sont détectées par un miroir, et traduites en courant électrique puis en intensité lumineuse sur l'écran d'un ordinateur. L'image est construite électroniquement ligne par ligne. Des traitements numériques permettent de présenter les résultats sous des aspects divers qui mettent en évidence le relief de la surface (ill. 12-14) (chapitre 13 - les images et leurs traitements). Ne comportant aucune lentille, le microscope à force atomique est complètement affranchi des problèmes d'optique.
Ill.12-13 - Représentation schématique du fonctionnement d'un microscope à force atomique. Une pointe extrêmement fine balaie la surface. Un détecteur enregistre les variations de la hauteur et les retransmet sur un moniteur. | Ill.12-14 - Image au microscope à force atomique de la surface d'un cristal liquide cholestérique endommagé par l'impact d'un faisceau électronique |
Le nom de "force atomique" provient du mode de contact de la pointe. Cette pointe en métal ou en semi-conducteur est si fine qu'elle agit par l'atome qui se rapproche le plus de la surface. Tout se passe donc au niveau atomique. Mais que perçoit donc un atome, de la surface d'un échantillon? La surface d'un échantillon quel qu'il soit n'est pas continue à cette échelle, mais se présente sous la forme d'atomes juxtaposés, constitués de noyaux denses, et d'électrons circulant autour, laissant beaucoup de vide entre les deux. Qu'est-ce que veut-dire "entrer en contact" ou "toucher" à cette échelle? Toucher, c'est rencontrer une force de résistance en face de soi. Lorsque la pointe s'approche de la surface, elle ne subit tout d'abord aucune influence. Puis à une distance très petite, inférieure au nanomètre, elle se sent attirée. Si on l'approche encore, elle rencontre une résistance, une force de répulsion. Le contact est en fait l'équilibre entre deux forces, d'une part la pression donnée à la pointe, d'autre part la force de répulsion des atomes de la surface.
Ill.12-15 - Image au microscope à force atomique de la surface d'une lamelle de talc. Dimension d'un côté: 6 nanomètres. On y remarque la disposition régulière des groupements d'atomes.
La microscopie à force atomique fournit des résolutions proche de l'atome, de sorte qu'il est possible, dans certains cas extrêmes où les conditions sont tout à fait favorables, de recueillir des images de molécules ou même d'atomes (ill. 12-15). La résolution est donc bien meilleure que celle de la microscopie électronique à balayage. D'autres avantages sont que la surface ne nécessite pas de métallisation préalable et qu'il n'est pas nécessaire de travailler dans le vide. On peut observer un échantillon à l'air libre, ou dans un gaz choisi, ou même dans un liquide. Cela rend-il le microscope à balayage désuet? Non, car en contre-partie, le microscope à force atomique a ses propres limites. La surface à observer doit être extrêmement bien préparée, sans contamination par des gaz ou liquides indésirables collés (adsorbés) sur elle. Une toute petite partie de la surface seulement est visible, car il est impossible de balayer de façon détaillée de très grandes surfaces (supérieures à un micromètre). Le système de balayage par une pointe est susceptible de strier ou déformer la surface si elle est molle, et quelquefois, la pointe déplace des molécules isolées. Finalement, chacun des appareils apporte des informations différentes et complémentaires sur l'objet. L'un, le microscope électronique à balayage met en relief les pentes, l'autre, le microscope à force atomique, à travers la force de répulsion des atomes, est sensible aussi à la nature des atomes. Ils se distinguent aussi par les accessoires et les modes de fonctionnement dérivés qui exploitent les différentes caractéristiques des signaux recueillis.
Après la description des méthodes de préparation et d'observation, revenons à la question de savoir dans quelle mesure nous pouvons faire confiance aux images pour en tirer des conséquences théoriques ou pratiques. Représentent-elles vraiment l'objet réel? L'esprit humain a tendance à prendre pour vraie l'apparence qui lui est présentée. L'attitude scientifique consiste à lutter contre l'habitude d'esprit, contre l'opinion toute faite, contre l'illusion installée sans examen approfondi.
S'engager dans une réflexion sur les rapports entre l'image et la réalité pourrait nous conduire très loin dans la mesure où les termes réalité et objet réel devraient eux-mêmes être définis. Par exemple, quelle est la réalité d'un atome? Après tout, l'atome n'est qu'un objet imaginé, un modèle théorique inventé puisque nos sens sont dans l'incapacité de nous le faire percevoir. Comment pourrions-nous savoir s'il existe vraiment? La seule chose que l'on sait, c'est que les déductions de ce modèle sont en accord avec la majorité des mesures expérimentales actuelles. Ici, nous allons rester à un niveau beaucoup plus modeste de réflexion, et nous nous demanderons simplement quelles sont les limites des instruments utilisés pour l'observation. Nous négligerons également les processus perceptifs de l'œil et du cerveau, la transformation du signal sur la rétine et sa propagation dans le réseau complexe des multiples cellules spécialisées et coopératives du cerveau. Cela aurait pu éventuellement nous amener à la découverte de quelques distorsions supplémentaires.
Avant l'observation, l'objet subit une préparation importante pour être observable. C'est ainsi qu'il est aminci, métallisé, fracturé, contrasté, etc... Ces opérations sont loin d'être anodines et sont susceptibles de modifier l'objet, et même, dans certains cas, de l'altérer gravement. Au cours de l'observation, il reçoit un rayonnement avec lequel il peut réagir. Par exemple, l'irradiation par les électrons modifie la structure des polymères. Les polymères cristallins perdent leur structure cristalline et deviennent amorphes.
Admettons maintenant que la structure de l'objet ait été préservée malgré les opérations précédentes. Il n'en reste pas moins que l'instrument d'observation ne perçoit de l'objet qu'un aspect limité. Par exemple, dans un microscope optique, l'objet ne nous confie que ses qualités de transparence et d'opacité, ou de biréfringence. Le microscope électronique en transmission est sensible aux électrons et aux noyaux des atomes (charges négatives et positives) tandis que le diffractomètre à rayons X n'est sensible qu'au nuage d'électrons qui composent les atomes (l'électricité négative). Le microscope électronique en transmission ne voit que des tranches très minces d'un objet. On doit donc s'assurer que ces tranches sont représentatives de l'ensemble de l'objet. Dans le cas du microscope électronique à balayage, c'est le relief de surface qui est visible.
Les microscopes optiques ou électroniques donnent d'un objet en trois dimensions des images généralement à deux dimensions. D'autre part, ces images sont entachées des défauts dus aux lentilles elles-mêmes, aberrations, astigmatisme, défaut de mise au point, etc... Enfin, l'image d'un point de l'objet est une petite tache circulaire, de telle sorte que les images de deux points proches peuvent se chevaucher, et les détails fins de l'objet seront perdus. C'est ce qui limite la résolution de l'appareil, définie comme la distance minimum entre deux points dont les images sont distinctes. Il s'ensuit que notre connaissance d'un objet est limitée à la résolution de l'instrument d'optique. Enfin, les images obtenues nécessitent souvent de subir un traitement de type informatique. Ce traitement d'image peut lui aussi donner lieu à des altérations (chapitre 13).
Ces remarques ne sont pas destinées à mettre en cause les découvertes sur les formes et les structures des polymères, mais à attirer l'attention du lecteur sur toutes les précautions que s'impose le scientifique soucieux de la vérité. L'observation doit être menée consciencieusement, avec une bonne connaissance du fonctionnement et des limites de l'instrument. Il est nécessaire d'en recouper les conclusions avec les résultats provenant de moyens d'observation ou d'analyse complémentaires, ou encore avec des simulations calculées par ordinateur. Il faut également avoir conscience qu'un résultat ne constitue pas la vérité, mais seulement une part de la vérité. L'observation apporte des connaissances par fragments, qui sont complétés plus tard par d'autres approches expérimentales. Il arrive même qu'ils soient complètement remis en cause par un nouveau résultat paradoxal. C'est l'essence même de la démarche scientifique.
Observer la matière en trois dimensions (2005).
Article hébergé sur le site de Techno-science, l'actualité technologique et scientifique
Les microscopes, tout comme les appareils photographiques, donnent de la matière des représentations photographiques en deux dimensions. Le microscope
confocal numérique permet d'obtenir des fichiers d'images en trois dimensions, grâce à son faisceau optique qui sonde la matière à des niveaux
progressifs... Mais seulement sur une profondeur de quelques dizaines de micromètres, ce qui n'est pas si mal pour un microscope. Essais sur quelques
matières plastiques, composites et gels...
Le diamant et le quartz sont des cristaux typiques par leur transparence pure et leurs formes géométriques. La géométrie extérieure est la manifestation d'une géométrie intérieure. Les cristaux sont construits par l'empilement ordonné périodique de petites briques atomiques élémentaires, les mailles. Lorsque cet ordre fait défaut, la matière est dite amorphe ou vitreuse. La cristallisation est une transformation extraordinaire qui fait passer du désordre liquide à l'ordre compact. Les roches, et toute matière y compris les matériaux industriels (métaux, silicium, polymères), contiennent des domaines cristallins et amorphes. Récemment on a reconnu l'existence de domaines cristallins aux géométries plus complexes (les quasi-cristaux), dont la périodicité n'est détectable que dans un espace à dimension supérieure. Les cristaux fournissent des exemples de la façon dont l'espace peut être pavé par des polyèdres tels que cube, octaèdre, dodécaèdre. Cet article vise à révéler la beauté, la précision et l'intelligence des formes géométriques cristallines.
Les cristaux liquides sont des substances qui lorsqu'on les chauffe, passent par des structures intermédiaires entre le cristal à réseau périodique bien ordonné dans trois directions et le liquide complètement désordonné. Dans ces états, ils tiennent à la fois du liquide et du cristal. Ces structures résultent de la forme non-sphérique de leurs molécules qui s'empilent comme des allumettes, des assiettes, les cartes d'un jeu de cartes ou encore des hélices. Ce sont ces mêmes cristaux liquides qui se cachent dans les écrans numériques sous le sigle LCD. Les cristaux plastiques ont par contre des molécules quasi-sphériques et ils représentent une autre façon d'inventer un ordre intermédiaire, dû à la mobilité rotationnelle de leurs molécules.
Le plus souvent synthétiques, quelquefois naturelles, les matières plastiques doivent leur essor à leur large gamme de caractéristiques, dures, molles ou élastiques, transparentes ou opaques, isolantes et quelquefois conductrices, plus ou moins résistantes aux conditions agressives de leur usage, toujours légères. C'est la nature particulière de leurs molécules en forme de chaine, ainsi que la variété des modes d'assemblage qu'elles adoptent, qui est à l'origine de cette diversité.
3 janvier 2025