De l'ADN moléculaire à l'ADN vibratoire
5. L'ADN électrique
Alain Boudet
Dr en Sciences Physiques
Résumé: On représente habituellement la molécule d'ADN sous forme de volumes géométriques: hélices, rubans et segments. Au-delà de son occupation dans l'espace, une vie électronique intense se manifeste dans les molécules, responsable de leurs attirances, associations et assemblages. De nombreuses recherches ont été conduites sur la conductivité électrique de l'ADN nu, donc en-dehors du corps. Récemment, il a été démontré que l'ADN est électro-conducteur et peut être considéré comme un minuscule fil électrique. Ces recherches sont motivées par la possibilité d'utiliser l'ADN comme constituant de nano-circuits électroniques (à l'échelle du nanomètre). Des ordinateurs à base d'ADN ont été construits et testés. L'ADN participe ainsi à la grande course des nanotechnologies qui permettent de fabriquer des puces et autres dispositifs de taille très inférieure à celles élaborée avec le silicium. Une technologie qui se répand pour le meilleur et pour le pire.
Depuis sa découverte dans les années 50, la présence d'ADN dans le noyau de nos cellules est bien connue, ainsi que sa fonction de support du code génétique. Les enseignements scolaires, universitaires et les médias diffusent abondamment les représentations de la structure de cette molécule, faites de 2 brins enroulés en double hélice, et comment l'information génétique est codée dans certains segments, les gènes. Mais ce n'est là qu'un aspect limité de l'ADN. Les 3 articles précédents de cette série ont déjà complété cette description en montrant combien le rôle du code génétique doit être nuancé et modulé. Ces compléments sont toutefois restés dans le cadre habituel de la description moléculaire de l'ADN et des gènes. Le présent article sort de cette représentation, ou plus exactement y pénètre de façon plus profonde et plus fine pour découvrir une image différente de l'ADN: sa constitution électrique et ses manifestations.
Rappelons que chaque brin d'ADN est constitué d'une chaine centrale - le squelette - sur lequel sont accrochées les bases azotées. Le squelette est fait de l'enchainement répétitif d'un même motif, lui-même fait d'un "pentagone" (le désoxyribose) et d'un complexe phosphate (voir figure 1). Sur ce squelette, un peu à la façon des dents d'un peigne, sont fixées les bases azotées, prises parmi 4 types, qu'on représente par les lettres C (cytosine), A (adénine), T (thymine), G (guanine). Les 2 brins sont enroulés en hélice l'un autour de l'autre et s'assemblent par l'accouplement des dents qui se font face. Elles s'accouplent par la liaison des 2 bases azotées complémentaires de chacun de brins (pour plus de détails, voir La molécule d'ADN et le code génétique).
Fig.1- Schéma d'un brin d'ADN. Il est composé d'une chaine centrale, faite de l'assemblage linéaire de motifs identiques (les pentagones oranges représentant le désoxyribose, articulés par le groupement phosphate P ), sur laquelle sont fixés des groupements C, A, T et G Merci à G. Bourbonnais |
Dans cette représentation, les atomes et les molécules sont envisagés comme des volumes plus ou moins déformables qui se rapprochent, s'emboitent et s'assemblent. Cette vision, quoique fructueuse et juste sous un certain regard, est incomplète. Elle ignore l'aspect électrique des atomes, même s'il est implicite dans la notion de liaison chimique. C'est en effet la nature électrique des atomes qui est responsable des interactions entre atomes. Or ces liaisons sont nécessaires à la constitution des assemblages d'atomes qui forment la matière. On peut donc dire que la nature électrique des atomes est le fondement de l'existence de la matière, de sa cohérence et de sa dynamique.
Dans une molécule, les atomes sont maintenus en place par des liaisons électriques plus ou moins élastiques, plus ou moins souples (liaisons covalentes). Toute molécule est aussi un espace de charges électriques et d'influences électriques. Sa forme même résulte des interactions entre ses différentes parties. Par exemple si deux parties un peu éloignées d'une même molécule s'attirent, cette force d'attirance provoque la courbure ou le repliement de la molécule. La molécule est structurée par l'électricité et fonctionne grâce à elle.
L'électricité est aussi la force qui maintient les assemblages de molécules sous forme de matière, liquide ou solide. Entre elles, les molécules peuvent s'attirer ou se repousser à cause de leurs influences électriques. Lorsqu'elles s'attirent, elles peuvent se coller, s'emboiter, par des liaisons électriques plus faibles que celles qui unissent leurs atomes constitutifs (liaisons de type Van der Waals, liaisons hydrogène). Cette association reste légère, relativement libre et facilement défaite, par élévation de température par exemple, ou par l'intervention d'ions.
La nature électrique de la matière se manifeste aussi au niveau de la cellule. La membrane qui enveloppe la cellule est polarisée comme une pile entre l'intérieur et l'extérieur. Les charges électriques sont mobiles et circulent dans la cellule. C'est ainsi que les neurones, cellules du système nerveux, transmettent l'influx électrique d'une cellule à l'autre dans les nerfs. En réalité, les organismes vivants sont des "machines" électriques extrêmement élaborées.
L'aspect électrique des molécules est bien connu des chimistes. Une catégorie d'entre eux et de physiciens en ont fait leur monde quotidien de recherche en électronique moléculaire. Ils cherchent à construire et étudier des dispositifs électroniques miniatures (nanotechnologie) des machines dont la taille est de l'ordre du nanomètre (un millionième de millimètre) et qui peuvent se loger partout, y compris dans le corps, dans les cellules, dans le sang, pour le meilleur... ou pour le pire! Dans cette approche, on synthétise des molécules souvent linéaires ou cycliques, et on étudie comment elles se comportent en tant que minuscules fils électriques, diodes, condensateurs, ou antennes électro-magnétiques. De nombreuses équipes travaillent sur ce sujet qui a le vent en poupe dans la recherche et la faveur des grosses sociétés industrielles électroniques.
Il est donc surprenant que la nature électrique des molécules soit si peu abordée dans les descriptions de la biologie moléculaire, aussi bien dans l'enseignement que dans la recherche (sauf rares exceptions). Sans doute parce que la physique rebute le biologiste. Mais aussi parce qu'il existe un cloisonnement important entre les disciplines.
Puisque la molécule d'ADN est composée d'électricité, certains chercheurs se sont demandés si elle était capable de conduire le courant électrique comme un fil minuscule. Le but est intéressé. Les recherches sur la conductivité sont menées dans l'espoir d'en trouver des applications technologiques.
S'il est possible de fabriquer des microcircuits qui emploient des fils moléculaires, alors les fabricants pourraient s'affranchir du silicium et élaborer des appareils, en particulier des ordinateurs, dont le volume pourrait être 1000 fois plus petit que les appareils courants (voir un exemple d'étude). Parmi les molécules qui sont susceptibles d'être employées comme fil électrique, celles d'ADN possèdent de nombreux avantages. Elles ont la faculté de s'assembler spontanément en ensembles ordonnés (auto-assemblage), de se dupliquer et d'adopter des conformations variées.
Les électrons qui gravitent autour des atomes sur les orbites les plus éloignées sont très peu astreints à rester sur cette orbite et peuvent sauter d'un atome à l'autre. Dans les fils métalliques, ils sont tellement libres que lorsqu'ils sont soumis à une tension électrique, ils circulent en flot groupé, comme de l'eau soumise à une aspiration. C'est ce qui crée le courant électrique.
Dans les molécules organiques telles que l'ADN, les mécanismes sont plus complexes (sauts d'électrons, solitons, polarons, bipolarons), mais de toute façon, ces termes désignent des mouvements d'électrons. Certains chercheurs ont tenté de calculer la conductivité théorique, selon des modèles plus ou moins représentatifs de la réalité, sans conclusion nette.
La vraie réponse est fournie par la mesure expérimentale. A condition de pouvoir le faire. La mesure de la conductivité d'une molécule d'ADN est un exploit technique. Il est facile de mesurer celle d'un fil électrique, d'un morceau de métal, en reliant chaque extrémité à un mesureur de résistance, un ohm-mètre. Mais quand il s'agit d'une molécule dont le diamètre est de 2 nanomètres (2 milliardièmes de mm) et la longueur de l'ordre du millimètre, comment relier ses extrémités à un appareil? C'est pourtant ce qu'ont réalisé plusieurs équipes de chercheurs, motivées par l'espoir des applications électroniques.
Généralement, ils mettent les molécules d'ADN en suspension dans un liquide, et déposent ce liquide sur une grille métallique aux mailles extrêmement serrées, avec l'espoir que certaines des molécules chevaucheront le trou à la manière d'un pont ou seront posées entre deux plots dispersés sur une plaquette. Les résultats sont contradictoires d'une équipe à l'autre. Certaines trouvent que l'ADN est peu conducteur, et d'autres qu'il l'est un peu ou beaucoup. Le résultat des mesures est très dépendant de la qualité des contacts sur la grille.
Dispositif de mesure de la conductivité de l'ADN | (A) Molécules d'ADN tendues entre 2 nanotubes de carbone distants de 27 nm. | (B) Attache de l'ADN sur un nanotube par l'intermédiaire d'une amine |
Dr Hélène Bouchiat, CNRS Info, Paris, 2001 | Reproduit de "Direct Electrical Measurements on Single-Molecule Genomic DNA Using Single-Walled Carbon Nanotubes", Roy et col.Copyright © 2008 American Chemical Society |
La généralisation de l'emploi de nanotubes de carbone dans les recherches sur les nanotechnologies a fourni une nouvelle technique de contact entre la molécule et l'électrode. Des chercheurs de l'université de Miami, en Floride (Roy, Choi et col. USA) ont réalisé un dispositif dans lequel un nanotube de carbone est greffé aux deux extrémités de l'ADN. Ces tubes sont conducteurs et leur conductivité est analogue à celle du graphite.
Dans des expériences récentes (2008), des chimistes de l'université de Columbia (Guo et col; USA) ont employé une méthode de préparation tout à fait différente. Ils ont inséré des molécules d'ADN à l'intérieur de nanotubes de carbone, dont le diamètre est comparable à celui des molécules d'ADN. Ils sont liés à l'ADN par des liaisons chimiques qui, elles aussi, propagent parfaitement le courant électrique. De manière convaincante, les mesures montrent que la résistance électrique de l'ADN est inférieure au million d'ohms, ce qui signifie que ces molécules conduisent très bien l'électricité. (Hélène Bouchiat, physicienne, CNRS, Paris)
Références: Fils moléculaires conducteurs: la preuve par l'ADN; L'ADN dans les circuits intégrés, réalité de demain? CNRS Info, mars 2001, 391. Questions à Hélène Bouchiat: L'ADN conduit l'électricité; La Recherche, mai 2008, 419. Nanotubes measure DNA conductivity; André Brown, 7 mars 2008. Conductivity of a single DNA duplex bridging a carbon nanotube gap; X. Guo, A.A. Gorodetsky, J. Hone, J.K. Barton, C. Nuckolls; Nature Nanotechnology, 2008, 3, 163-167 (Version pdf). DNA electronics in nanotechnology; Michael Berger, 2007 Nanowerk LLC. Direct Electrical Measurements on Single-Molecule Genomic DNA Using Single-Walled Carbon Nanotubes, Roy et col. Nano Lett., 2008, 8, 26-30. Proximity-Induced Superconductivity in DNA; A. Yu. Kasumov, M. Kociak, S. Guéron, B. Reulet, V. T. Volkov, D. V. Klinov, H. Bouchiat; Science, 12 January 2001, 291, 280-282. Metallic Conduction through Engineered DNA: DNA Nanoelectronic Building Blocks; A. Rakitin, P. Aich, C. Papadopoulos, Yu. Kobzar, A. S. Vedeneev, J. S. Lee,J. M. Xu; Phys. Rev. Lett. 2001, 86, 3670-3673. DNA-based Nanowires and Nanodevices, prof. Alexander B. Kotlyar, Israel
En réalité, la conductivité n'est pas la même selon le type d'ADN que l'on mesure: ADN à double brin naturel, ADN modifié, ADN à simple brin, ADN court synthétique, etc..
Selon l'équipe américaine de Miami, l'ADN à double brin est bon conducteur, mais pas celui à simple brin.
L'équipe de Columbia a constaté qu'un seul défaut de structure engendré par un mauvais appariement entre les deux nucléotides complémentaires d'un ADN double brin gênait la propagation des électrons. La conductivité devient alors, en moyenne, 300 fois moins importante.
De nombreuses études se sont concentrées sur les transports d'électrons par les bases azotées. Dans une base, les orbites électroniques des atomes sont recombinées collectivement en une orbitale qui a la forme d'un anneau. Ces anneaux s'empilent comme une colonne qui forme un canal à l'intérieur de l'ADN, et c'est dans ce canal que passe le flux d'électrons.
Mais d'autres contestent ce modèle. Une équipe japonaise a trouvé, en mesurant les électrons émis par les atomes de phosphore des bases, qu'un processus de conduction se produisait bien le long du squelette, avec une vitesse pour les électrons un millier de fois plus rapide au niveau du squelette qu'au niveau des bases.
Référence: L'ADN est un bon conducteur d'électricité; Laurent Sacco, Futura-Sciences, 20 décembre 2007. DNA goes electric; D Clery. Science, 3 March 1995, 267, 5202, 1270
Une équipe espagnole a trouvé que la valeur de la conductivité dépendait de la disposition de la succession des nucléotides. Lorsque les nucléotides sont disposés de forme répétitive ou périodique [donc dans les parties non-codantes de l'ADN, celles qu'on nomme les satellites, voir partie 3], le transport d'électricité est meilleur.
Ces recherches intéressent les biophysiciens qui espèrent détecter les défauts de structure, les défauts d'appariements des brins, dont certains peuvent être à l'origine de cancers. Certains enzymes ont la faculté de réparer des défauts qui se produisent sous l'effet de l'environnement. Comment les enzymes reconnaissent - ils les dommages subis par l'ADN? Auraient-ils un moyen de détecter une rupture ou une modification dans la chaine moléculaire de l'ADN, en étant sensible à sa conductivité?
Références: Direct Electrical Measurements on Single-Molecule Genomic DNA Using Single-Walled Carbon Nanotubes, Roy et col. Nano Lett., 2008, 8, 26-30. La chaîne ADN peut être conductrice d'électricité; extrait du Bulletin électronique Espagne n° 57 du 15/11/2006, Ambassade de France en Espagne.
Les études de conductivité rapportées précédemment ont été effectuées sur un ADN nu. C'est logique puisque le but est d'en tirer parti pour des nanocircuits électroniques et des nano-ordinateurs. Or il est connu que des molécules organiques autres que l'ADN sont conductrices de l'électricité, et ceci depuis les années 1970. Il s'agit de certains polymères (le nom chimique des constituants des matières plastiques et des gels) comme le polyparaphénylène, le polyacétylène, la polyaniline. Toutefois, leur molécule n'est pas conductrice lorsqu'elle est isolée et nue. Ils ne sont pas des conducteurs intrinsèques. Ils deviennent conducteurs lorsqu'on les "dope", c'est-à-dire lorsqu'on leur ajoute des ions (métalliques, chlore,iode, etc.) qui viennent se coller sur les molécules.
La conductivité de l'ADN est également très influencée par les ions métalliques. Ainsi, l'adjonction de ruthénium ou de rhodium augmente la conductivité de l'ADN de façon significative. Lorsqu'on place un seul atome de ruthénium à chaque extrémité d'un brin d'ADN (court), la conductivité du brin est multipliée par 10'000 (David Paterson, Scientific American, mai 1995, 33).
Les métaux ont une importance cruciale pour le fonctionnement de l'ADN dans son environnement cellulaire. L'ADN baigne dans l'eau physiologique, chargée d'ions et d'autres molécules, qui peuvent s'approcher de l'ADN et se fixer sur lui. C'est de cette façon que certains ions métalliques jouent un rôle important dans l'ouverture (la séparation locale) des deux brins et dans leur fermeture (Étienne Guillé, L'alchimie de la vie). On sait aussi qu'une plus grande concentration de certains d'entre eux est liée à l'apparition du cancer. La présence trop abondante d'aluminium est incriminée dans la maladie d'Alzheimer.
Référence: Long-range photoinduced electron transfer through a DNA helix; CJ Murphy, MR Arkin, Y Jenkins, ND Ghatlia, SH Bossmann, NJ Turro, and JK Barton; Science,262,5136, 1025-1029. Metal Complex - DNA Interactions, John Wiley and Sons Ed, March 2009. Crystallographic studies of metal ion - DNA interactions: cobalt, copper and barium, Yi-Gui Gao, M.Sriram and Andrew H.-J.Wang, Nucleic Acids Research, 1993,21,17, 4093 -4101. Intranuclear aluminum content in Alzheimer's disease, dialysis encephalopathy, and experimental aluminum encephalopathy, D. R. Crapper, S. Quittkat, S. S. Krishnan, A. J. Dalton, U. De Boni, Acta Neuropathologica, 50, 1, janvier 1980. ADN et Alchimie, E. Guillé. L'induction du cancer, à l'échelle énergétique, E. Guillé.
La nature électronique des molécules organiques en général et de l'ADN en particulier excite les appétits des ingénieurs pour concevoir des mémoires d'ordinateurs selon de nouveaux principes. Il faut pouvoir les assembler en réseau, et dans ce but, les molécules allongées ou en forme de plaquette, éventuellement ramifiées en plusieurs branches, semblent très prometteuses. Dans cette technologie du futur, l'ADN suscite beaucoup d'intérêt.
Par exemple, "Jonathan Green, de Caltech, et ses collègues ont fabriqué une mémoire d'ordinateur dans laquelle des molécules jouent le rôle d'éléments de stockage. Pour cela, ils ont d'abord gravé sur du silicium deux réseaux de fils de silicium perpendiculaires, formant une sorte de «matrice» de 400 lignes et 400 colonnes, à l'aide de techniques classiques de l'électronique. Entre ces deux réseaux de silicium, ils ont disposé des molécules appelées rotaxanes, de forme allongée. Il y a en moyenne quelques milliers de rotaxanes à l'intersection de deux fils. Chaque rotaxane possède un groupement chimique, sorte d'anneau qui peut avoir deux positions différentes le long de l'axe de la molécule. En appliquant une tension de +1,5 ou -1,5 volt à un fil de silicium, on modifie la position de l'anneau des molécules de rotaxane fixées à ce fil. Or, la conductance de la molécule varie avec la position de l'anneau. On peut donc détecter l'état de la molécule, qui correspond à l'état «0» ou «1» d'un bit informatique, en lisant le courant circulant entre les deux fils." (Alain Claverie, La Recherche, 2007)
A cause de la difficulté d'assembler l'ADN en réseau, des équipes ont inventé un calculateur à ADN conçu selon des principes très différents des ordinateurs classiques, à base de réactions chimiques. Voici les explications de Bernard Yurke, dans La Recherche, dans un article si limpide que je n'ai qu'à en citer des extraits:
L'ADN a plusieurs qualités pour cela [être employé comme élément d'ordinateur]. D'abord, c'est un moyen de stockage d'informations compact. La molécule d'ADN ressemble en effet à une longue chaine, un brin, dont l'un des côtés porte, à intervalles réguliers, des groupements chimiques que l'on nomme des bases, et dont il existe quatre modèles différents: l'adénine, la cytosine, la guanine et la thymine. Les informations génétiques sont codées par l'ordre dans lequel apparaissent ces bases. Chaque base mesure à peine un nanomètre de long, et les bases sont espacées d'un tiers de nanomètre environ. Si l'on imaginait par exemple de coder chaque caractère imprimé sur cette page par une suite de trois bases (ce qui permet de coder 64 signes différents), on obtiendrait un brin d'ADN d'à peine vingt micromètres de long.
L'intérêt de l'ADN pour le calcul réside aussi dans la façon particulière avec laquelle les brins interagissent deux à deux. Si leurs séquences de bases sont complémentaires, c'est-à-dire si chaque adénine d'un brin correspond à une thymine de l'autre brin, et chaque cytosine à une guanine, alors les brins se lient l'un à l'autre et s'enroulent, formant une double hélice: on dit qu'ils s'hybrident (c'est d'ailleurs sous cette forme de double hélice que l'on rencontre l'ADN la plupart du temps dans les organismes biologiques). Cette hybridation est spécifique: deux brins qui ne sont pas complémentaires ne peuvent pas se lier l'un à l'autre. Cette propriété permet de concevoir des brins d'ADN qui, lorsqu'on les mélange dans un tube à essai, s'assemblent en structures complexes prédéterminées.
Enfin, l'usage de l'ADN pour réaliser des calculs est favorisé par l'existence d'une «boîte à outils» qui permet de manipuler et de modifier les chaines de bases. Les constituants de cette boite à outils sont les enzymes, de grosses molécules, parmi lesquelles par exemple les ligases épissent deux brins d'ADN ensemble, les enzymes de restriction coupent un brin à un endroit précis, défini par une suite de bases spécifique, et les polymérases fabriquent des copies des brins. On dispose aussi, grâce aux développements de la biologie moléculaire, de nombreuses techniques de séparation et de purification de l'ADN.
Les systèmes de calcul utilisant de l'ADN s'appuient sur des mécanismes de codage fondamentalement différents de ceux de l'ordinateur conventionnel (voir Codes et information). Dans ce dernier, l'information codée est transportée par des électrons au sein de dispositifs de commutation électroniques. Dans les ordinateurs à ADN, l'information est traduite par des fragments chimiques de l'ADN. Le principe du calcul consiste à synthétiser des séquences d'ADN particulières et à les laisser réagir dans un tube à essai. Puis on analyse les produits de la réaction.
Les ordinateurs à ADN ont d'abord suscité de l'enthousiasme en vue de remplacer les ordinateurs à puces à silicium. Car contrairement au silicium, les concepteurs mettaient en avant que l'ADN est un "matériau" abondant et bon marché. En plus, l'industrie de la puce à ADN n'est pas toxique et polluante comme celle du silicium. Et surtout, ils étaient fascinés par le volume théorique réduit de la mémoire, puisque 500 g de puce d'ADN suffiraient à contenir l'information totale stockée sur tous les ordinateurs du monde. Un ordinateur à ADN de la taille d'une goutte d'eau serait plus puissant que le plus puissant des superordinateurs d'aujourd'hui.
Plusieurs difficultés pratiques ont aussi tempéré l'enthousiasme initial. D'abord, l'hybridation de l'ADN est un mécanisme infiniment lent par rapport à la fréquence des horloges des microprocesseurs actuels. En outre, plus le problème est complexe, plus le nombre de brins différents est grand: le volume d'ADN nécessaire croit souvent plus qu'exponentiellement avec la taille du problème à résoudre... Enfin, les enzymes utilisées pour manipuler l'ADN font parfois des erreurs. Les méthodes de séparation et de purification ne sont pas parfaites non plus, et elles sont d'autant plus complexes que le nombre de brins à séparer est grand... Dans l'avenir proche, le principal intérêt du calcul avec l'ADN résidera à mon avis sur un autre terrain: l'assemblage d'ordinateurs électroniques à l'échelle moléculaire. (Bernard Yurke)
Les efforts portant sur la mise en réseau de l'ADN à l'échelle moléculaire se poursuivent et ont abouti à des premiers résultats fonctionnels. L'ADN est piloté pour être assemblé selon une disposition contrôlée. Cette disposition peut alors servir de trame sur laquelle se positionnent les composants électroniques.
Une équipe d'IBM a récemment (2009) imaginé de déposer sur du silicium un long ruban d'ADN selon des formes précises simples (triangles, carrés, étoiles), qu'elle a appelées origami. Dans ce cas, l'ADN n'est pas le composant actif. Il sert d'échafaudage sur lequel on peut disposer les nanotubes de carbone, les nanofils ou les nanoparticules.
Dès 1987, Bruce Robinson, de l'université de Washington, et Nadrian Seeman avaient proposé d'assembler un réseau de mémoire à l'aide d'ADN. Ils imaginaient que des blocs d'ADN pourraient s'assembler en réseaux cristallins tridimensionnels. Ces blocs porteraient les molécules analogues à des composants électroniques, fils électriques ou commutateurs par exemple, auxquelles les chimistes songeaient déjà à l'époque (voir l'article de C. Joachim, J.P. Launay et R. Companó). Leur proposition était toutefois restée théorique, faute de composants moléculaires adéquats, et faute de savoir concrètement comment assembler des blocs d'ADN.
Comment concrètement passer des calculateurs à ADN à l'assemblage de nanostructures? L'idée originale de B. Robinson et de N. Seeman était d'utiliser des blocs tridimensionnels. Nous n'en sommes pas encore là, et nous nous contentons pour l'instant, ce qui n'est déjà pas si mal, d'apprendre à assembler des blocs bidimensionnels, des structures nommées tuiles d'ADN imaginées par Erik Winfree, de Caltech. Une tuile d'ADN est formée de deux doubles hélices entrecroisées: chaque brin d'une double hélice devient à un endroit membre de l'autre double hélice. A leurs extrémités, les deux doubles hélices se prolongent chacune par deux brins simples, qui ne sont pas complémentaires l'un de l'autre, et qui peuvent donc s'hybrider avec des brins portés par d'autres tuiles.
Avec deux types de tuiles d'où émergent des brins complémentaires (dont les attaches sont de même couleur), Erik Winfree et l'équipe de Nadrian Seeman, à l'université de New York, ont, les premiers, fait croitre en 1998 des feuillets d'ADN qui ont la régularité d'un réseau cristallin simple. Avec plus de tuiles et des règles d'interaction un peu plus complexes, on peut construire des structures plus élaborées. On y parvient en choisissant un ensemble approprié de séquences de bases pour les différents brins d'accrochage des tuiles. Les tuiles peuvent ainsi être programmées pour réaliser un calcul ou, ce qui revient au même, pour former un pavage prédéterminé... Ce pavage d'ADN peut être utilisé comme support d'un circuit électronique, en accrochant sur les tuiles les composants adéquats.
Comme une double hélice d'ADN a un diamètre de 2 nanomètres, et que deux bases successives sont espacées de 0,34 nanomètre, les tuiles d'ADN ont réellement une taille nanométrique. Celles d'E. Winfree et N. Seeman ont des dimensions de 2 nanomètres par 4 et par 13: c'est beaucoup plus petit que la largeur des transistors actuels, qui atteint environ 100 nanomètres. Comme les molécules utilisables comme composants ont une longueur de l'ordre du nanomètre, on peut envisager de placer dans des microprocesseurs moléculaires une densité de composants beaucoup plus grande que dans les microprocesseurs actuels.(Bernard Yurke)
Des scientifiques et ingénieurs d'une compagnie privée de recherche en Nouvelle Zélande sous la direction du physicien Graemme Brown, ont pu faire fonctionner des programmes sur un minuscule cristal d'ADN pharmaceutique de seulement 20 nanomètres de large. Cette puce doit être avalée ou insérée dans le corps. Elle est programmée pour détecter les mutations génétiques et les déficiences. On a peu d'informations sur cette réalisation, car les fabricants invoquent la confidentialité. (Références: Research Company Makes International Breakthrough, 17 October 2006; DNA computer chip hits world, 21/02/2008)
Le caractère électrique de l'ADN est bien établi. Les applications électroniques et informatiques sont déjà opérationnelles. On ne peut qu'être ébloui par l'ingéniosité des cerveaux qui produisent de telles connaissances scientifiques et techniques. La révolution informatique a complètement bouleversé l'aspect pratique de notre vie. Quelle merveille que l'outil internet, par exemple, grâce auquel je peux mettre ces connaissances à votre disposition. Ce n'est possible que grâce aux puces qui sont les cerveaux des ordinateurs.
Toutefois, on peut aussi être inquiet car cette science s'emballe et ne s'accompagne pas de la conscience. Les chercheurs et ingénieurs qui la produisent n'ont pas forcément des intentions néfastes, bien au contraire. Ils ont souvent la curiosité et l'ingéniosité d'enfants qui s'amusent à manipuler la matière et s'émerveillent de sa force et de ses ressources. Cet esprit d'ouverture et de spontanéité est une grande qualité qu'on souhaite à tout adulte (voir L'enfant intérieur). C'est lui qui conduit à comprendre les forces à l'œuvre dans l'univers. C'est lui qui permet de mettre en évidence des phénomènes qui ne s'accordent pas aux théories en vigueur et à les dépasser.
Mais souvent aussi, les chercheurs sont sous la dépendance d'institutions et espèrent en obtenir des récompenses pour leurs travaux (sous forme de réputation, de reconnaissance, de contrats, d'invitation dans des grands colloques, etc.). De cette façon, leurs recherches sont orientées. Leurs découvertes sont exploitées par des groupes dont le but n'est pas le bien-être de l'humanité. On peut s'en apercevoir par le nombre croissant de scandales rendus publics parmi les industriels, les financiers, les commerciaux et les politiques.
Beaucoup des inventions électroniques de télécommunication de ces dernières années permettent que nous soyons suivis, surveillés et contrôlés en permanence (par exemple l'ordinateur branché sur internet, le téléphone cellulaire (portable), les cartes de crédit, les puces d'identification). C'est encore plus inquiétant quand on nous demande d'ingérer ou d'être inoculé par des substances que nous ne pouvons pas vérifier. Les nanotechnologies permettent de fabriquer des dispositifs invisibles à l'?il nu et certains peuvent être inclus dans des liquides. L'amélioration de notre confort matériel par ces technologies n'est qu'un phénomène secondaire.
Faut-il s'en offusquer? Non. Le monde est celui que nous nous construisons. Notre vie extérieure est le reflet de notre vie intérieure, et c'est d'abord en observant profondément en nous, en découvrant et transformant nos idées préconçues et nos blessures émotionnelles que nous pourrons changer la façon dont les découvertes scientifiques sont orientées et exploitées. (voir Ma vie, reflet de mes pensées)
Si l'on envisage l'ADN, non comme une matière à manipuler, mais comme un fantastique outil électrique de notre corps, il se dévoile sous un nouveau jour. Les molécules n'apparaissent plus seulement comme des objets mécaniques qui se rapprochent et s'emboitent comme des légos ou comme des clés et des serrures. Elles sont extraordinairement vivantes. A l'intérieur, des charges électriques circulent et induisent des réactions énergétiques. Elles provoquent des rapprochements, des éloignements sélectifs dans le temps et dans l'espace. Elles modifient l'état énergétique des atomes, état qui se transmet à d'autres atomes, ce qui induit des émissions électromagnétiques. Par ces échanges, les électrons et les photons transmettent des informations entre les cellules. Ce sujet est traité dans l'article suivant, L'ADN électromagnétique.
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En anglais
Texte conforme à la nouvelle orthographe française (1990)
28 juin 2010