L'ÉDUCATION MUSICALE VIVANTE
selon Edgar Willems

Alain Boudet

Dr en Sciences Physiques

Publié dans Routes Nouvelles n°62, octobre 1973

L'éducation musicale doit collaborer au plein épanouissement des facultés humaines.

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Il ne s'agit pas de faire l'éducation musicale d'un enfant dans le but de lui fournir une occupation, un divertissement, mais pour développer en lui des éléments de vie qui sont prêts à être utilisés: la musique est l'expression de la vie.

EDGAR WILLEMSNOTE PRÉLIMINAIRE SUR EDGAR WILLEMS:

Edgar Willems (né en 1890 à Lanaken, dans la province de Limbourg, en Belgique, et mort en1978 à Genève) est un artiste, un musicien autodidacte, et surtout, un pédagogue de la musique, célèbre pour être à l'origine d'une méthode d'éducation musicale. (wikipedia)

La musique c'est la vie

Les musiques traditionnelles et ethnologiques, non savantes, faites sans l'aide du solfège, le prouvent bien. Elles naissent spontanément, souvent accompagnées de mouvements de danses, pour les fêtes (mariages, fêtes religieuses, changements de saison, etc.); ou pour rythmer les gestes du travail (chants pour hisser la voile ou un fardeau, de labour, de chasse, d'appel, pour tisser, pour repiquer le riz, pour piler le maïs, etc...).

La musique est donc mouvement. Elle exprime aussi un sentiment. C'est par elle que les peuples crient leur joie et leur douleur (chants d'amour, religieux, de fête, de caractère magique ou divin). Elle fait donc appel à des éléments physiques et psychologiques et n'est pas un exercice intellectuel comme on le considère souvent dans l'enseignement.

La radio a tué le chant

Chez les peuples occidentaux, la musique ethnique reste limitée à une reconstruction intellectuelle figée des groupes folkloriques [note: en 1973]. Ceci est dû à la forme de la société actuelle, aux rapports de plus en plus conventionnels entre les hommes (l'être humain perdu dans la foule de la grande ville ne transmet plus ses traditions à son entourage), aux moyens d'information très développés (on préfère regarder la télé plutôt que de se réunir sur la place du village). La radio a tué le chant.

De même, les éléments profonds qui sont à la base de la musique sont très souvent étouffés par cette vie moderne et par l'éducation: la chansonnette était autrefois le moyen de donner à l'enfant le sens musical; le rythme de la vie intérieure est détruit par le rythme de la vie extérieure. Il est facile de le constater: un enfant a le sens du rythme, de très nombreux adultes ne l'ont pas et sont incapables de dire, parmi deux sons proches, lequel est le plus haut.

Le but de l'éducation musicale est d'éviter d'étouffer ces possibilités chez l'enfant, de les développer et de le préparer à la pratique de la musique. Requérant la participation de l'être humain dans toutes ses dimensions (sensorielles, affectives, spirituelles), elle collabore au développement de ses pleines facultés.

Des éléments qui forment un tout

Recherchons les éléments physiques et psychologiques de la personne humaine qui entrent dans la pratique de la musique. Edgar Willems dont la méthode active nous inspire largement dans cet article, propose ce schéma:

Musique Homme
Art Intuition et création
Harmonie Vie mentale
Mélodie Vie affective
Rythme Vie physiologique et sensorielle

Chacun de ces éléments a besoin des autres, c'est un tout, une unité. La musique est un fait global. On remarque aussi que la synthèse est de plus en plus poussée de bas en haut. On passe du son à l'intervalle (constituant la mélodie) et à l'accord (constituant l'harmonie) qui contiennent respectivement un, deux et trois sons. Pour bien comprendre ce schéma, il suffit de savoir que le rythme est essentiellement du mouvement, donc un élément physique et que la mélodie exprimant un état d'âme doit être interprétée avec sensibilité. Enfin, pour pouvoir distinguer les trois sons d'un accord, le cerveau entre nécessairement en jeu.

Comme la langue maternelle

Ce n'est donc pas le solfège que l'éducateur cherchera à enseigner d'abord: la musique s'acquiert comme la langue maternelle. On chante sans avoir conscience des sons ni des rythmes. Peu à peu, on distingue les divers éléments. Enfin on cherche à les écrire. Ainsi le solfège apparaît en dernier. Il est la transcription symbolique de quelque chose de vivant. A la lecture, il faut retrouver, derrière les notes, la vie et non pas déchiffrer d'une manière mécanique. Débuter par le solfège est un non-sens: processus mental et abstrait, il est vide de signification s'il n'est pas précédé de la pratique. On aura donc le schéma d'acquisition suivant:

Initiation:

Pré-solfège:

Solfège

Des exercices basés sur la vie

Comment développer audition et rythme? Nous aurons toujours à cœur que notre méthode permette à l'enfant une adhésion active, qu'elle lui fasse aimer la musique et que les exercices soient toujours basés sur la vie. On ne doit pas faire appel à des moyens extra-musicaux qui encombrent la mémoire: pas de couleurs. de dessins, de phononymie, d'histoires, de jeux, mais un matériel auditif varié, des chansons d'intervalles, des frappés, un vocabulaire correct, des mouvements corporels. Au début, il s'agit moins de pousser à la perfection que de permettre à l'enfant d'extérioriser sa vitalité et de développer son esprit d'initiative.

L'audition et le rythme

Sans nous soucier d'ordre pratique, faisons la liste des domaines où doit porter notre éducation. Elle relève de deux grandes rubriques:

Les rythmes

Mouvements naturels

Improvisations rythmiques

Les rythmes des chansons

L'audition

Le mouvement sonore

Le grave et l'aigu

Le mouvement mélodique

L'harmonie

Savoir captiver

Notre but est d'abord d'intéresser les enfants, de les amener à participer activement, de provoquer leur enthousiasme. Il ne faut pas chercher absolument la perfection, mais seulement l'effort. Il faudra être observateur et veiller à ce que l'enfant n'arrive pas au résultat par d'autres moyens, par exemple en substituant la connaissance à la spontanéité: en improvisation, ne pas chanter un air déjà connu, mais improviser au fur et à mesure librement, sans réfléchir et surtout sans se contrôler. On fera donc très souvent appel à l'invention, à l'esprit d'initiative, aux possibilités créatrices de l'enfant. Celui-ci jouera parfois au professeur, en donnant un rythme repris par les autres.

Avec les plus grands

Le but étant toujours de provoquer l'intérêt et l'enthousiasme, nous utilisons, à la place des chansons enfantines, de jolis chants adaptés à leur âge. On pratique le chant choral ou on étudie un instrument de musique (flûte ou guitare). Mais il ne dispensera pas de chanter, de reproduire les sons. Il sera simplement la motivation de l'éducation musicale. On alterne les séances d'éducation musicale et celles d'instrument ou de chant.

L'invention est malheureusement assez faible, car les adolescents et adultes ont perdu leur spontanéité. C'est dans les exercices de rythmes qu'on l'obtient le plus facilement. Parfois, ils ne veulent pas chanter. Dans ce cas, l'instrument est de rigueur au début.

On peut aborder le solfège immédiatement, car les plus grands sont capables d'abstraire. Mais n'oublions pas qu'on doit faire appel aux éléments vécus: audition et rythme. Ainsi le solfège, nécessaire à la pratique du chant et de l'instrument, sera associé à leur étude et alternera avec l'éducation musicale.

Bibliographie

Ouvrages d'Edgar Willems, éditions Pro Musica

Fédération Internationale Willems: Site officiel; Site de l'école de Lyon

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